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au combat, affrontant mille morts, sans autre arme que sa bannière de blanc satin !… elle, enfin, dont le sang coula souvent sur le champ de bataille, et qui ne répandit celui de personne !… Jeanne Darc, dans son indignation généreuse, allait répondre à ce prêtre ; mais la voix de sa dignité, de sa conscience, lui défendit de répondre autrement que par un silencieux dédain à cette accusation abominablement mensongère.


le chanoine maurice. — « Septièmement, Jeanne, tu as dit qu’ensuite de tes révélations tu as quitté, vers l’âge de dix-sept ans, la maison paternelle, contre la volonté de tes parents, plongés par ton départ dans une douleur voisine de la folie ; qu’ensuite, tu es allée vers un certain Robert de Baudricourt, lequel t’a fait conduire à Chinon, près de ton roi, à qui tu as dit que tu venais, au nom de Dieu, pour chasser les Anglais et lui rendre sa couronne.

» Jeanne, l’Église te déclare impie envers tes parents, transgressesse de ce commandement de Dieu : Tes père et mère honoreras, blasphématresse envers le Seigneur, errante dans ta foi et faiseuse de promesses présomptueuses et téméraires… »

Cette autre accusation révoltait et navrait Jeanne Darc. Elle impie envers ses parents ! Hélas ! de quelles angoisses déchirantes n’avait-elle pas souffert, alors qu’obsédée par l’impérieuse voix de son patriotisme, qui lui disait chaque jour : — Marche, marche à la délivrance de la Gaule ! — elle dut se résigner à abandonner sa famille, qu’elle chérissait et vénérait ! Combien de fois, résistant aux enivrements de ses victoires, n’avait-elle pas répété ces paroles touchantes : « J’aimerais mieux être à coudre et à filer auprès de ma pauvre mère !… » Et lorsqu’un moment arbitre des destinées de la France, elle recevait une lettre de son père, qui la comblait de bénédictions et lui pardonnait sa fuite, Jeanne ne s’était-elle pas écriée, moins glorieuse de ses triomphes que de la clémence paternelle : — Mon père m’a pardonné ! — Et après cette sainte absolution, ces prêtres l’accusaient de fouler aux pieds les commandements de Dieu !…