Jeanne Darc, trop faible pour pouvoir marcher, mais toujours enchaînée par les pieds, est apportée sur un brancard dans la salle basse de la tour par deux geôliers ; ils déposent à quelques pas des prêtres-juges ce brancard où est étendue la prisonnière. Résolue de soutenir la vérité jusqu’à la mort, elle se demande pourtant quels crimes elle a commis ? Elle a affirmé la réalité des visions qu’elle a eues ; elle a soumis en son âme et conscience tous les actes de sa vie au jugement de son souverain maître et juge… Dieu ! Si persuadée qu’elle soit de la partialité, de la perfidie de ce tribunal ecclésiastique, elle a peine à croire à la possibilité de sa condamnation, ou plutôt s’épuise à en deviner les motifs. Son pâle visage s’est légèrement coloré d’une animation fébrile ; elle se soulève à demi sur son brancard, appuyée sur l’une de ses mains ; ses grands yeux noirs, caves et brillants, s’attachent avec anxiété sur les prêtre-juges, et au milieu du profond silence dont a été suivie son entrée, elle attend…
Le chanoine Maurice, vêtu de la robe canonicale, tient en main un parchemin où est minuté l’acte d’accusation qu’il s’apprête à prononcer.
Cet acte d’accusation dressé par ces prêtres, vous allez l’entendre, et vous frémirez, fils de Joel… Oh ! certes, ce fut une effroyable iniquité que le supplice de notre ancêtre Karvel-le-Parfait et de sa douce femme Morise, condamnés à Lavaur, au douzième siècle, par le légat du pape et Simon de Montfort, fanatique féroce, à être jetés dans une fournaise avec cinq cents autres hérétiques albigeois, coupables de ne pas avoir foi en l’Église de Rome, coupables d’avoir vaillamment défendu leur croyance, leur famille, leur maison, leurs biens, leur province, contre les croisés catholiques, qui, au nom du Christ, pillaient, incendiaient, ensanglantaient le Languedoc, ainsi que le faisaient en terre sainte les premiers croisés, du temps de notre aïeul Fergan-le-Carrier… Oui, tout cela fut affreux, et cependant moins affreux encore que la haine acharnée de l’Église contre Jeanne Darc ! Vous connaissez sa vie, fils de Joel, vous la connaissez depuis sa