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la prend par un bras ; ils l’emmènent hors de la chapelle, où se trouvent les soldats anglais chargés de reconduire la prisonnière.


Jeanne Darc, livide, hâve, brisée par la maladie et méconnaissable, tant elle a souffert depuis son dernier interrogatoire, est à demi couchée sur la paille de son cachot, ses vêtements d’homme tombent en lambeaux ; elle est, ainsi que par le passé, enchaînée par le milieu du corps. Elle a entouré de son mieux, au moyen de quelques chiffons, les lourds anneaux de fer qu’elle porte au-dessus de la cheville ; leur rude pression a non-seulement meurtri, mais entamé sa chair jusqu’au vif ; ces plaies lui sont cruellement douloureuses ; cruellement douloureuse aussi est l’une de ses glorieuses blessures, qui s’est rouverte. Mais l’affaiblissement extraordinaire de la vierge guerrière, la profonde altération de ses traits, a une autre cause encore, cause étrange, ténébreuse ; elle remonte à quelques jours de là. L’un des geôliers, remarquant que la captive touchait à peine aux aliments grossiers qu’on lui donnait, lui avait dit « qu’afin de la remettre en appétit », l’évêque Pierre Cauchon lui enverrait un mets préparé dans son hôtel. Le lendemain, elle mangea quelques bouchées d’un poisson à elle apporté de la part du prélat ; presque aussitôt, saisie de vomissements convulsifs, ses traits devinrent cadavéreux, elle s’évanouit. Ses geôliers la crurent au moment de trépasser, l’un d’eux courut chercher un médecin ; il arriva, reconnut les symptômes d’un empoisonnement, et parvint à la rappeler à la vie, mais non à la santé. La prisonnière, depuis lors, est restée languissante, abattue et sans force.

Jeanne Darc ne se trouve pas seule dans son cachot ; le chanoine Loyseleur est assis sur un escabeau à côté de l’espèce de cercueil rempli de paille où elle est couchée. Se croyant en danger de mort, elle vient de se confesser à Loyseleur, de lui ouvrir son âme loyale et pure, de lui raconter sa vie entière ; loin de soupçonner l’infernale