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et de le couvrir d’ignominie aux yeux de ses ennemis. Dans la royauté, elle voyait la France ; et la honte du roi devait rejaillir, ineffaçable, sur le royaume. Elle répondit donc à l’évêque Cauchon, ainsi qu’elle l’avait toujours fait jusqu’alors, de manière à sauvegarder l’honneur de Charles VII :

— J’avais été blessée sous les murs de Paris ; j’ai offert mon armure devant l’autel de la sainte Vierge en reconnaissance de ce que ma blessure n’avait pas été mortelle.

l’inquisiteur, paraissant se rappeler un oubli. — Pendant le temps que vous faisiez la guerre, portant harnais de bataille et habits d’homme, avez-vous reçu l’Eucharistie ?

Un mouvement de tous les prêtres-juges, leur attentif et profond silence, témoignent de l’extrême gravité de la question posée à l’accusée.

jeanne darc. — J’ai communié toutes les fois que je l’ai pu… et pas aussi souvent que je l’aurais voulu…

l’évêque cauchon, vivement. — Greffiers, vous avez écrit ?

un greffier. — Oui, monseigneur.

l’évêque cauchon. — De quel lieu étiez-vous partie lorsque vous êtes venue à Compiègne pour la dernière fois ?

jeanne darc tressaille douloureusement à ce souvenir. — Je venais de Crespy, en Valois.

l’évêque cauchon. — Vos voix vous ont-elles commandé cette sortie où vous avez été prise ?

jeanne darc. — Pendant la dernière semaine de Pâques, mes voix m’avaient encore avertie que bientôt je serais trahie et livrée… mais qu’il devait en être ainsi… de ne pas m’étonner, de prendre tout à gré… que Dieu me viendrait en aide…

un juge. — Ainsi, vos voix vous disaient souvent que vous seriez prise ?

jeanne darc, soupirant. — Oui, elles me le disaient depuis longtemps… je demandais à mes saintes de mourir aussitôt que je serais prisonnière, afin de ne pas souffrir longtemps…