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imposante procession où le clergé, précédant les échevins tenant un cierge en main, sortait de la cité afin d’aller faire de pieuses stations aux différents lieux témoins des glorieux combats de la guerrière.

Mais Jeanne Darc n’en doutait plus, les prêtres, ainsi que le roi, l’abandonnaient à ses bourreaux ; d’autres prêtres du Christ la jugeraient, la condamneraient. Les Anglais chargés de l’amener prisonnière lui avaient souvent et cruellement répété durant le voyage : « — Tu vas être brûlée, sorcière ! il est à Rouen de saints prêtres qui t’enverront au bûcher !… »

Convaincue par ces paroles qu’elle ne pouvait attendre ni merci ni justice du tribunal ecclésiastique devant qui elle allait paraître, Jeanne, accablée sous le poids de ces déceptions atroces, dont le ressentiment poignait sans l’aigrir son âme angélique, se demandait, avec une anxiété pleine de doutes, pourquoi le Seigneur la délaissait, elle l’instrument des volontés divines ? elle toujours obéissante à ces saintes voix qu’elle croyait entendre, et qui n’étaient que l’écho de sa conscience, de sa foi, de son patriotisme ?… ces voix qui, depuis sa captivité, lui disaient encore chaque jour : « — Va, fille de Dieu ! ne crains rien… prends à gré ton martyre… tu as accompli ton devoir… le ciel est avec toi !… »

Et cependant le ciel la livrait aux Anglais, ses ennemis implacables !

Et cependant les prêtres du Seigneur se montraient, disait-on, impatients de la condamner au feu !…

Ces contradictions jetaient un trouble profond dans l’esprit de la prisonnière ; souvent aussi elle éprouvait une grande affliction, songeant qu’elle laissait sa mission inachevée… le sol de la Gaule n’était pas encore complètement délivré de la domination étrangère…

Telles sont les pensées de Jeanne à cette heure où, le visage caché entre les mains, elle est assise, brisée, sur la paille de son cachot, n’ayant pas encore remarqué la présence du chanoine Loyseleur, toujours tapi dans l’ombre et guettant sa proie… Soudain la guerrière tressaille de surprise, presque d’effroi ; elle entend au milieu de