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flictions, tombe assise, cachant son visage entre ses deux mains, demeurées libres.

John fait sortir ses hommes et jette un regard d’intelligence au chanoine Loyseleur ; la prisonnière n’a pu encore l’apercevoir, tapi dans un endroit du cachot complètement obscur ; le geôlier sort et referme la porte, on voit à travers son guichet briller de temps à autre les casques de fer des deux sentinelles placées au dehors. Invisible au milieu des ténèbres que ne peut dissiper la faible clarté du jour filtrée par l’étroit soupirail, le chanoine suspend sa respiration et observe Jeanne ; celle-ci, le visage toujours caché dans ses mains, reste profondément absorbée dans ses pensées… navrantes pensées !… Elle ne s’abusait plus, Charles VII l’abandonnait à ses bourreaux. Elle connaissait dès longtemps l’égoïsme, la couardise, l’ingratitude de ce prince, deux fois elle avait voulu l’abandonner à son destin, indignée, révoltée de ses lâchetés ; mais, par patriotisme, elle s’était résignée à le couvrir de sa gloire, sachant qu’aux yeux du peuple, la France se personnifiait dans son roi… Cependant l’héroïne espéra d’abord que ce prince essayerait de la sauver ; il lui devait tout ; et de lui seul, d’ailleurs, elle pouvait attendre quelque pitié. Instruite par tant de faits de l’envie, de la haine dont la poursuivaient les chefs de guerre, elle ne comptait nullement sur leur intérêt ; n’étaient-ils pas, après plusieurs tentatives de trahison infâmes, parvenus à la livrer aux Anglais devant Compiègne ? Un moment aussi, dans la candeur de sa foi, elle avait cru à la charitable intervention de ces prêtres, de ces évêques, qui, à Poitiers, déclaraient que Charles VII pouvait, en sécurité de conscience, accepter le secours inattendu que Jeanne-la-Pucelle lui apportait au nom de Dieu ; oui, elle avait cru à la chrétienne intervention de ces prêtres qui l’admettaient avec tant d’empressement à la communion, à la confession, qui chantaient ses louanges et, au milieu des pompes de l’Église catholique, célébraient la fête du 8 mai, anniversaire commémoratif de la levée du siège d’Orléans, religieuse solennité ordonnée par l’évêque du diocèse,