Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nie d’un énorme barreau, est pratiquée dans la muraille de six pieds d’épaisseur. En face de ce soupirail, se présente, sous un couloir voûté, une porte massive, renforcée de plaques et de boulons de fer, percée d’un guichet grillagé toujours ouvert. Une caisse de bois, remplie de paille, est placée à gauche de la porte ; une assez longue chaîne, scellée dans la muraille et rivée à une lourde ceinture de fer, alors ouverte au moyen de charnières, est jetée sur cette paille ; l’extrémité de la caisse, servant de lit, est formée par une poutre destinée à entraver les pieds de la prisonnière. Un coffre, un escabeau, une table, meublent ce sinistre cachot, éclairé par une lampe. Parallèlement et à l’opposé de la litière de paille s’en trouve une autre, où est couché le chanoine Loyseleur enchaîné ; il vient d’adresser quelques paroles au geôlier, nommé John, soldat anglais dans la force de l’âge, vêtu d’un vieux surcot de buffle. Sa figure basse et féroce est bourgeonnée par l’abus du vin, sa barbe épaisse, inculte comme sa chevelure, s’étale sur sa poitrine ; un coutelas pend à son côté. Soudain, un autre homme à figure patibulaire pousse la porte entrouverte et dit en anglais à John :

— Venez vite… la voilà !…

Le geôlier sort précipitamment, il fait un signe d’intelligence au chanoine Loyseleur en emportant la lampe ; le prêtre s’étend sur sa couche et feint de dormir ; la porte est au dehors fermée à double tour. La lueur blafarde de l’aube, si pâle en ces jours d’hiver, filtrant à travers le soupirail du cachot, le laisse dans une obscurité presque complète ; la place occupée par le chanoine reste noyée d’ombre.


Bientôt la lourde porte grince sur ses gonds, Jeanne Darc entre, précédée de John ; il jette sur elle un regard farouche. Deux autres geôliers, aussi armés, suivent leur chef ; l’un tient un marteau et un ciseau, l’autre porte sur son épaule un petit coffre contenant un peu de linge et quelques hardes appartenant à la prisonnière. Elle est à peine reconnaissable ; depuis son séjour prolongé dans les prisons, le frais coloris de la fille des champs ou de la guerrière vivant toujours