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Margny, et quoique vigoureusement défendu, elle l’enleva. Les Anglais campés à Claroy s’avancent pour venger la défaite des leurs et sont d’abord culbutés ; mais ils reviennent par trois fois à la charge avec acharnement. Ce combat se livrait dans la prairie basse ; il se prolongea. Le duc de Bourgogne ne tarda pas à déboucher de la vallée d’Aronde, et gagna la jetée ; Jeanne, dans la prévision de ce mouvement, avait chargé Flavy de tenir les Bourguignons en échec, cet ordre ne fut pas exécuté. Les Bourguignons débouchèrent par la chaussée. À l’aspect de ce renfort, des lâches ou des traîtres crièrent : « Sauve qui peut ! courons aux bateaux !… » Les troupes auxiliaires de la Pucelle, commandées par des hommes de Flavy, se débandent, s’élancent vers les barques préparées au bord de la rivière, laissant Jeanne et sa petite compagnie soutenir seuls le choc des Anglais et des Bourguignons ; elle le soutint hardiment, et assaillie de nouveaux pressentiments à la vue de la déroute de ses auxiliaires, dont les capitaines n’avaient exécuté aucun de ses ordres, elle résolut de mourir plutôt que de tomber vivante au pouvoir des Anglais, mit l’épée à la main et s’élança avec une folle témérité contre un ennemi cent fois supérieur en nombre à la poignée de héros qui combattaient près d’elle. Ceux-ci, après des prodiges de valeur, voyant la bataille perdue, voulurent, au prix de leur vie, sauver celle de la Pucelle ; deux d’entre eux, malgré ses prières, malgré sa résistance, saisirent son cheval par le mors, afin de la reconduire de force dans la ville, tandis que leurs compagnons se feraient tuer jusqu’au dernier pour couvrir sa retraite… Déjà ils approchaient d’un pont-levis jeté sur un fossé qui séparait la redoute de la chaussée, lorsque ce pont fut relevé par ordre du sire de Flavy… La Pucelle et ses fidèles soldats, ainsi méchamment trahis et livrés à l’ennemi, se ruèrent sur lui avec la furie du désespoir. Jeanne, atteinte de plusieurs coups à la fois, fut précipitée en bas de son cheval et aussitôt entourée d’une foule d’Anglais et de Bourguignons se disputant cette glo-