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Gaule. La Normandie est devenue, comme tant d’autres contrées, l’une des provinces d’Angleterre ; le duc de Bedfort, régent, occupe Rouen. L’archevêché de cette ville sert de logis à Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, vendu âme et corps, mitre et crosse, au parti anglais, dont il est l’un des nombreux prélats. Le mois de février 1431 touche à sa fin. Pierre Cauchon, douillettement vêtu d’une robe de soie violette, est assis dans un escabel à bras, au coin d’un foyer embrasé, d’où rayonnent la chaleur et la clarté ; de joyeux reflets se jouent sur le tapis oriental et sur les solives peintes et dorées du plafond de la vaste salle, somptueusement meublée. Une table encombrée de parchemins, dressée près de la haute cheminée sculptée, est éclairée par un luminaire d’argent massif garni de flambeaux de cire allumés ; un siège, alors vacant, sur le dossier duquel se trouve une pelisse noire fourrée, fait face, de l’autre côté de cette table, au siège occupé par l’évêque, et annonce l’absence momentanée d’un autre ecclésiastique. La figure de Pierre Cauchon, à la fois saisissante et repoussante, offre un mélange d’audace, de ruse, d’opiniâtreté remarquable ; ses petits yeux, d’un bleu très-clair, pétillants de finesse, parfois luisants de férocité, disparaissent à demi sous le renflement de ses grosses joues rouges et sous ses épais sourcils, gris comme ses cheveux, presque entièrement cachés sous sa calotte violette. Son front vineux est sillonné de veines bleuâtres ; son nez camus, troué de larges narines poilues, fait ressortir la singulière proéminence de sa lourde mâchoire. Lorsqu’il rit, son rire cruel découvre des dents inégales et jaunâtres. Tantôt penché sur la table, lisant un parchemin couvert d’une écriture fine et serrée, il frotte joyeusement l’une contre l’autre ses mains velues, déformées par la graisse, tantôt il regarde impatiemment devers la porte de la chambre, comme s’il eût hâté de ses yeux le retour du personnage absent. Enfin la porte s’ouvre, un autre prêtre paraît ; c’est un chanoine, il se nomme Nicolas Loyseleur. Son visage est osseux et blême, son œil couvert comme celui d’un reptile ; ses paupières rougies man-