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guerrière attendrie un petit morceau de parchemin attaché au dessus du manteau de la cheminée ; sur ce parchemin était écrit le nom de Jeanne, surmonté d’une croix… Ces bonnes gens, à défaut de l’image de leur bien-aimée libératrice, avaient écrit son nom, témoignant ainsi du culte ingénu qu’ils vouaient à l’héroïne… Puis, ce furent de leur part des questions sans fin, adressées au jeune page leur hôte, sur Jeanne leur ange céleste ! Peut-être l’avait-il vue, cette sainte fille, la Notre-Dame de Bon-Secours des paysans qui souffraient plus que personne des cruautés des Anglais, avant qu’elle les eût chassés du beau pays de Touraine. C’était enfin dans la chaumière un concert de bénédictions mêlées d’adorations passionnées pour la Pucelle… De plus en plus émue, elle se reprocha sévèrement sa défaillance : abandonner Charles VII à ses destinées, c’était abandonner les destinées de la France, c’était surtout exposer ces pauvres paysans, humble, laborieuse race dont elle, Jeanne, était née, à retomber sous le joug affreux de l’étranger ; c’était de nouveau livrer ces malheureux à toutes les horreurs de cette guerre atroce, que l’héroïne avait mission de terminer. Ces pensées la raffermissent, lui inspirent la résolution de lutter pour l’accomplissement de ses projets, de lutter opiniâtrement contre le roi, contre ses conseillers, contre ces capitaines qui la poursuivent de leur haineuse envie, et qu’elle redoute plus encore peut-être que les Anglais. Ceux-ci la combattent par les armes, à ciel ouvert ; les autres machinent sous ses pas de ténébreuses trahisons. Absorbée par ces méditations, Jeanne se jette sur un lit de bruyères fraîchement coupées, seule couche que ses hôtes puissent lui offrir ; elle invoque l’appui, le conseil de ses saintes ; bientôt elle croit entendre leurs voix chéries murmurer à son oreille :

« — Va, fille de Dieu, pas de faiblesse, accomplis ta mission, le ciel ne t’abandonnera pas. »

À l’aube, la guerrière quitta ses hôtes, ignorant que leur pauvre réduit avait été visité par l’ange sauveur du pays, décidée de toujours