Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disait-elle, qu’elle ressentait à peine sa plaie ; son gorgerin, étroitement relacé, maintiendrait l’appareil ; elle demanda seulement, pour apaiser sa soif brûlante, quelques gouttes de breuvage. Maître Jean alla remplir à un ruisseau voisin une gourde à moitié pleine de vin, qu’il offrit à la guerrière ; elle se désaltéra, revêtit son armure, se leva debout et fit quelques pas, afin d’essayer ses forces. Ses traits célestes, pâlis par la perte de son sang, reprirent bientôt leur expression sereine et résolue ; elle engagea ceux qui l’entouraient à s’écarter pendant un moment, s’agenouilla près du vieux chêne, joignit les mains, se recueillit, pria, remercia ses bonnes saintes de l’avoir délivrée d’un péril mortel, les supplia de la soutenir, de la protéger encore. Presque aussitôt il lui sembla entendre les voix mystérieuses murmurer à son oreille :

— Va, fille de Dieu !… courage ! combats avec ton audace accoutumée… le ciel te donnera la victoire !…

L’héroïne, inspirée, se relève, coiffe son casque, saisit sa bannière, appuyée au tronc de l’arbre, et s’écrie d’une voix vibrante :

— Maintenant, à l’assaut !… les Tournelles seront à nous de par Dieu !… Aux armes !… hardi !… en avant[1] !…

Ce cri de guerre est répété de proche en proche avec un frémissement de bravoure impatiente. Soudain les sons précipités du beffroi, les détonations des bombardes éclatant du côté de la ville, annoncent enfin à Jeanne la tardive exécution de ses ordres ; les chefs de guerre assaillaient les Tournelles par le pont au moment où elle allait de nouveau les attaquer de front. Cette heureuse diversion redouble l’ardeur des soldats de la Pucelle ; guidés par elle, ils recommencent l’assaut avec un élan irrésistible… Oui, irrésistible, fils de Joel ; car, après une lutte opiniâtre, sanglante, prolongée jusqu’à la tombée de la nuit, les Tournelles furent emportées. Oui, comme la veille, lors de la prise du couvent des Augustins, les derniers rayons du soleil

  1. Journal du siége d’Orléans, t. IV, p. 467 ; ap. J. Quicherat