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taine sans leur trahison. Soudain l’écuyer Daulon, instruit de la blessure de la guerrière par des rumeurs répandues de proche en proche, accourt, et, la voyant si grièvement atteinte, s’écrie que, pour l’empêcher d’être étouffée par le sang, il faut à l’instant délacer sa cuirasse et arracher le fer de la plaie… À ces mots, le pâle visage de Jeanne s’empourpre de confusion, sa pudeur se révolte à la pensée d’exposer ses épaules et son sein nus aux regards des hommes dont elle est entourée, appréhension si pénible, qu’elle ne peut retenir ses larmes[1], larmes touchantes, arrachées non par la douleur du corps, mais par la chasteté de l’âme !… Maître Jean, maintes fois blessé lui-même, affirme aussi que laisser quelques moments de plus le fer dans la plaie, c’est exposer les jours de l’héroïne ; en effet, de plus en plus oppressée, elle croyait toucher à son agonie, cependant elle ne voulait pas mourir encore : sa mission n’était pas accomplie. Elle invoque ses saintes, se réconforte par cette prière mentale, y puise le courage de se résigner à une nécessité cruelle pour sa pudeur ; mais avant de permettre que l’on s’occupât du pansement de sa plaie, Jeanne ordonne de suspendre l’assaut, les troupes ayant besoin de repos. Elle charge Dunois, qui accourt auprès d’elle avec Lahire et Xaintrailles, d’envoyer à l’instant à Orléans l’un des capitaines s’enquérir des causes de la fatale inaction des autres chefs de guerre et de leur enjoindre de commencer dans une heure l’attaque du côté du pont, sinon de faire du moins approcher des Tournelles les brulôts de Poitevin le marinier ; le beffroi donnerait le signal de ces opérations. Les trompettes sonnent la retraite, aux acclamations triomphantes des Anglais, enivrés de ce premier succès ; mais grâce à la vaillante exaltation inspirée par l’héroïne à ses soldats, ils demandent à grands cris de retourner bientôt à l’assaut, afin de la venger. Un cercle de sentinelles, placées à quelque distance de l’arbre au pied duquel on l’avait étendue, contient la foule inquiète, frémissante et

  1. Journal du siége d’Orléans, t. IV, p. 460 ; ap. J. Quicherat