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se remettre de sa panique. Jeanne, soutenue par les renforts des capitaines, s’élance à l’assaut du couvent ; au moment où, la première, elle mettait le pied dans un étroit passage conduisant aux palissades qu’elle voulait forcer, elle pousse un grand cri, sentant des dents de fer la saisir, la mordre un peu au-dessus de la cheville, broyer le fer de son jambard et ne s’arrêter qu’à l’os de sa jambe ; elle avait mis le pied dans l’une des chausse-trappes disposées à l’avance par les Anglais en cet endroit[1]. La douleur fut si vive, que Jeanne, déjà épuisée par les fatigues de la journée, s’évanouit et tomba entre les bras de Daulon, son écuyer ; lorsqu’elle revint à elle, le jour finissait, les retranchements étaient emportés, leurs défenseurs tués ou prisonniers. On avait transporté l’héroïne dans le logement de l’un des capitaines anglais tués pendant le combat ; elle se vit entourée des chefs de guerre. Son écuyer s’apprêtait à déboucler son jambard, afin de panser sa blessure ; mais, rougissant de pudeur à l’idée d’exposer sa jambe nue aux regards de ces hommes, Jeanne refusa obstinément ses soins, et ne songeant qu’à profiter de la prise du couvent des Augustins, elle défend de l’incendier, ordonne d’y loger pendant la nuit une forte garnison qu’elle conduira le lendemain matin à l’attaque des Tournelles. Après ces ordres et d’autres encore, donnés particulièrement à maître Jean avec cette sagacité militaire su remarquable en elle, la guerrière demanda d’être reconduite en bateau à Orléans, se sentant incapable de marcher, à cause des douleurs que lui causait sa blessure. Le couvent des Augustins s’élevait presque sur les bords de la Loire ; Daulon, maître Jean, quelques-uns de ses coulevriniers, portèrent Jeanne jusqu’à la rive du fleuve sur un brancard improvisé avec des bois de lances, la placèrent dans un bateau, où quelques-uns entrèrent, ainsi que son page et son écuyer ; puis l’on fit force de rames vers Orléans, où la guerrière put débarquer à la nuit. Jeanne pria Daulon d’étendre son manteau sur le brancard

  1. Journal du siége d’Orléans, t. IV, p. 479.