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couleuvrines transportées par l’un des grands bateaux, qui retournent chercher à plusieurs reprises les soldats restés sur le rivage opposé. Ces voyages durèrent plus d’une heure, heure d’impatience, heure d’angoisse inexprimable pour l’héroïne. À chaque instant elle craignait de voir les Anglais sortir de leurs retranchements afin d’écraser le petit nombre de braves qu’elle commandait ; mais ses craintes furent vaines, la prise héroïque de la bastille de Saint-Loup, tombée la surveille au pouvoir des Français, consternait les Anglais ; attribuant à des sorcelleries le triomphe de la Pucelle, ils n’osèrent la combattre à découvert, et l’attendirent à l’abri de leurs retranchements. Elle augura bien de cette timidité pour l’heureux succès de ses armes. Lorsque sa dernière phalange eut opéré son débarquement, Jeanne, à la tête de deux mille hommes, miliciens et paysans, marche droit à la bastille de Saint-Jean-le-Blanc, fortifiée de la même façon que la bastille de Saint-Loup. Maître Jean, afin de protéger la descente des assaillants dans le fossé d’enceinte, établit Jeannette et Jeanneton sur le revers de la douve, et les pointe contre les parapets de la redoute, dont les bombardes, les machines de traits commençaient de lancer leurs projectiles sur les Français ; mais grâce à la précision du tir du coulevrinier, plusieurs de ces engins de guerre sont renversés. L’assaut devenu ainsi moins meurtrier, la Pucelle et sa troupe traversent le fossé, laissent morts ou blessés bon nombre des leurs, gravissent le revers de l’escarpement, arrivent aux palissades, les forcent ; le blanc étendard flotte bientôt sur le boulevard des retranchements, et après une résistance désespérée, les Anglais, cédant soudain à la panique, plus que jamais persuadés que la Pucelle est endiablée, tournent casaque, traversent la Loire à un passage guéable, et se retirent en désordre dans une petite île voisine de Saint-Aignan. L’attaque, rude, sanglante, dura plus de deux heures ; Jeanne, avant d’accorder un moment de repos à ses gens, ordonne que les casernes de la bastille de Saint-Jean-le-Blanc, construites en charpentes, soient livrées aux flammes, afin de ruiner ces