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ordres de la Pucelle ; cependant, sentant s’augmenter sa méfiance des chefs de guerre, surtout depuis la récente tentative de Gaucourt, et désirant s’assurer que ses moyens de transports étaient prêts, elle donne de l’éperon à son cheval, devance la colonne, se dirige au galop vers la grève du fleuve, qu’une berge assez élevée dérobait à ses yeux. Quelle est la stupeur douloureuse de la guerrière ! elle ne voit sur la rive que cinq ou six grands bateaux et quelques batelets ; elle pousse son cheval à mi-corps dans la Loire, afin d’interroger un vieux marinier assis à l’arrière de l’un des chalans ; elle apprend que, vers minuit, un capitaine est venu requérir les bateaux pour le service de l’armée royale. Le vent étant favorable, ce capitaine avait ordre, disait-il, de faire remonter la flottille devers Blois pour y prendre des renforts. Plusieurs patrons mariniers, entre autres celui qui parlait à Jeanne, avaient répondu qu’ils ne bougeraient de leur ancrage sans un contre-ordre des échevins ; mais le capitaine menaçant les nautonniers de les mettre à mal s’ils refusaient de lui obéir, le plus grand nombre d’entre eux, cédant à l’intimidation, croyant d’ailleurs qu’il s’agissait réellement d’aller chercher des renforts à Blois, avaient orienté leurs voiles dans cette direction. Six chalans, sans compter quelques petites embarcations, restaient seuls ancrés près de la rive. Cette nouvelle machination des chevaliers poigna le cœur de la guerrière, sans abattre son courage, sans troubler sa présence d’esprit ; ses troupes, grâce au nombre de bateaux sur qui elle comptait, devaient être mises en terre en deux ou trois voyages, et il en faudrait effectuer huit ou dix, afin d’opérer ce débarquement, les moyens de transport étant réduits de plus des deux tiers. Elle perdait ainsi un temps précieux ; les Anglais épiant sans doute ses mouvements du haut de leur redoute, remarquant le petit nombre de bateaux dont elle disposait, pouvaient tenter une sortie, victorieusement repousser cette descente en se portant sur le rivage avant que toutes les troupes eussent eu le temps de prendre terre ou de se former en bataille. Jeanne, appréciant le péril extrême de sa