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ne fût tuée ou prise, pendant que les chefs de guerre, sortant d’Orléans par le côté opposé, à la tête du gros des troupes, iraient attaquer les autres bastilles, presque entièrement abandonnées des Anglais, venus à l’aide des défenseurs des Tournelles. Enfin, Jeanne ayant hautement déclaré la veille, contre l’opinion des chevaliers, « que la levée du siége d’Orléans dépendant presque entièrement de la prise des Tournelles, il fallait sans retard attaquer cet ouvrage important, » elle croirait son avis enfin adopté par le conseil de guerre après mûres réflexions, et, emportée par son courage, peu soucieuse du petit nombre de soldats qu’on lui donnait, marcherait témérairement à un combat où elle devait trouver sa perte. Ainsi s’accomplirait le complot tramé de longue main par La Trémouille, Gaucourt et l’évêque de Chartres.

Les échevins, malgré leur défiance des capitaines, ne soupçonnèrent pas l’abominable guet-apens que l’on tendait à la guerrière. Elle fut introduite ; Gaucourt lui fit connaître la décision du conseil, omettant surtout d’ajouter : — « que l’attaque des Tournelles ne serait qu’une feinte. » — La Pucelle, douée d’un rare bon sens et d’une extrême sagacité, avait eu trop de preuves de l’opposition constante apportée jusqu’alors à ses desseins par les capitaines pour ne pas fort s’étonner de les voir soudainement adhérer à un projet si vivement blâmé la veille ; aussi, pressentant quelque embûche, elle écouta silencieusement Gaucourt, allant et venant dans la salle d’un air pensif, puis s’arrêta, attacha son loyal et beau regard sur le traître et lui dit fièrement :

— Messire Gaucourt, ne me cachez rien de ce qui a été ici résolu ; j’ai su et je saurai bien garder d’autre secret que le vôtre[1].

Ces paroles, où se révélait la méfiance de la Pucelle envers ces chevaliers, les confondirent ; ils s’entre-regardèrent muets, troublés. Dunois, le moins mauvais d’entre eux, éprouva un remords, il ne

  1. Jean Chartier, vol. IV, p. 59 ; ap. Quicherat.