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« — L’on feindrait de vouloir attaquer la forteresse des Tournelles afin de tromper l’ennemi, de le faire sortir des redoutes situées de l’autre côté de la Loire, pour aller au secours des positions menacées ; il serait dupe sans doute de cette ruse de guerre, et pendant que quelques détachements continueraient d’escarmoucher du côté des Tournelles, les troupes royales et les compagnies, renforcées de la plus grande partie des milices urbaines, iraient attaquer et prendraient facilement les bastilles où les Anglais n’auraient laissé que de très-faibles garnisons, dans leur empressement de courir à la défense d’un poste très-important[1]. »

Ce plan de bataille, plus ou moins bon au point de vue stratégique, cachait une lâche perfidie, un piége infâme, horrible, tendu à Jeanne… Maître Jacques Boucher, parlant au nom des échevins et répondant au sire de Gaucourt qui venait d’exposer le plan adopté par les chevaliers, fit observer que, puisque tel était leur avis, il fallait mander la Pucelle, afin de lui soumettre les projets du conseil.

À ceci, le sire de Gaucourt se hâta d’objecter, au nom de tous les capitaines :

« — Que l’on n’était pas certain que cette fille saurait garder le secret sur un sujet si délicat. Ce doute existant, elle devait seulement être instruite du projet d’attaque contre les Tournelles, sans être prévenue que cette manœuvre était une feinte, une ruse de guerre ; de sorte que pendant cette escarmouche, commandée par la Pucelle en personne, le gros des troupes irait mettre à exécution le véritable plan de bataille, dont Jeanne n’avait pas connaissance[2]. »

Ce piége infernal était habilement tendu ; les capitaines, comptant sur l’intrépidité de la guerrière, certains qu’elle marcherait sans hésiter, à la tête de peu de soldats, contre les formidables Tournelles, ne doutaient pas que, dans cet assaut aussi meurtrier qu’inégal, elle

  1. Jean Chartier, Vol. IV, p. 58 ; ap. Quicherat. — La délibération du conseil est textuelle. Il ne peut rester aucun doute sur cette abominable tentative de trahison.
  2. Jean Chartier, vol. IV, p, 58.