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— Ces capitaines, ainsi que presque tous les nobles qui font de la guerre un métier, sont dévorés d’envie. Leur haine jalouse s’irrite contre toi, pauvre fille des champs, parce que ton génie les écrase ; ils aimeraient mieux voir les Anglais s’emparer d’Orléans que de voir ce siége levé par ta vaillance. Peut-être n’oseront-ils pas ouvertement refuser de te seconder, de peur d’exciter l’indignation de leurs propres soldats, et surtout des milices bourgeoises et du populaire d’Orléans ; mais ces chevaliers s’opposeront traîtreusement à tous tes projets, jusqu’au jour où, l’exaspération générale les forçant de te suivre avec leurs bandes mercenaires, ils batailleront enfin, non pour t’aider à vaincre, mais pour défendre leur peau. Tu ne peux donc compter pour accomplir ta mission libératrice que sur toi, sur les échevins, sur les milices urbaines d’Orléans, elles t’ont déjà vaillamment secondée. Ceux-là ne se battent pas par vaine gloire, par métier, ils se battent pour défendre leur foyer, leur famille, leur cité ; ceux-là, loin de te jalouser, loin de chercher à traverser tes projets, les seconderont corps et âme ; ils te chérissent, ils te respectent. Tu es leur ange sauveur ; leur confiance en toi, encore augmentée par la victoire d’hier, est aujourd’hui sans bornes ; appuie-toi hardiment sur ces braves gens, tu triompheras des envieux et de l’ennemi avec l’aide de Dieu !

Ce conseil, dicté par cette haute raison, par cette profonde sagacité dont Jeanne, dans le trouble de son esprit frappé par l’hallucination, faisait honneur à ses saintes, la rassura. Elle apprit d’ailleurs dès le matin que la prise de la bastille de Saint-Loup avait déjà un immense résultat. Cette bastille, commandant à la fois la route de Sologne, du Berry, et le passage de la Loire, en amont d’Orléans, empêchait ainsi l’arrivage des approvisionnements ou des renforts ; mais les paysans des environs, instruits ou témoins de la destruction de cette formidable redoute, et sachant le passage libre, amenaient déjà des vivres à la ville comme en un jour de marché. Grâce à ces provisions et à l’entrée du convoi de la veille, l’abondance succédait