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— Hé ! mon bon pays ! — dit gaiement Jeanne au canonnier, — montons vite là-haut, la redoute est à nous !…

Et la Pucelle, s’appuyant sur la lance de son étendard pour escalader la pente escarpée, a bientôt devancé de quelques pas la ligne des assaillants ; enlevés par son exemple, ils atteignent le faîte du talus. Plusieurs tombent morts ou blessés aux côtés de l’héroïne sous une pluie de balles et de traits ; la première elle met le pied dans un étroit chemin de ronde au delà duquel se trouve le retranchement palissadé ; se tournant alors vers ceux qui la suivent, elle s’écrie :

— Aux palissades ! aux palissades !… bon courage !… Les Anglais sont forcés !… je vous le dis, de par Dieu[1] !

Maître Jean et ses hommes abattent les pieux à coups de hache, la brèche est pratiquée, le flot des assaillants fait irruption par cette trouée comme un torrent par la porte d’une écluse ; une mêlée furieuse s’engage corps à corps avec les Anglais défenseurs de cette enceinte.

— En avant ! — crie Jeanne, conservant son épée au fourreau dans son horreur du sang, et agitant seulement sa bannière ; — le ciel nous protège ! hardi… en avant !

— Voyons si le ciel te protège, damnée sorcière ! — s’écrie un chef anglais, et il assène un furieux coup d’épée sur la tête de la Pucelle ; mais son casque la préserve ; elle reçoit en même temps un coup de masse d’armes qui fausse son armure à l’épaule droite. Un moment étourdie de ces rudes atteintes, elle chancelle, maître Jean la soutient, deux de ses canonniers la couvrent de leur corps ; mais bientôt elle reprend ses esprits, se redresse, se précipite au plus fort de l’action. L’élan des miliciens est irrésistible, le boulevard est jonché de cadavres des deux partis ; les Anglais, refoulés, cédant de nouveau à la terreur superstitieuse que leur inspire la Pucelle, se retranchent dans les nombreux bâtiments de charpente servant de

  1. Journal du siége d’Orléans, t. III, p. 172.