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— Toi et tes hommes, abandonnez votre bastille, — lui cria Jeanne de sa voix douce et grave, — rendez-vous tous à merci, vous aurez la vie sauve, à condition de vous en aller dans votre pays[1].

À ces paroles de paix, Gladescal et ses soldats répondirent par une nouvelle explosion de huées, de malédictions, de menaces. La voix de stentor de Gladescal dominant toutes les autres, il criait à tue-tête : — Je te ferai rôtir, sorcière endiablée !

— Si tu peux me prendre ! — répondit Jeanne avec son courage tranquille. — Mais moi, si je peux te vaincre, et je le pourrai, de par Dieu ! je te bouterai hors de France, toi et tous les tiens, à grand renfort de horions, puisque tu refuses de te rendre à merci[2].

— Retourne garder tes vaches, vile serve ! — hurla Gladescal ; — va-t’en, triple paillarde ! tu n’es que la p… des Armagnacs[3] !

— Oui, oui, — répétèrent les Anglais en redoublant de huées, — va-t’en garder tes vaches ! va-t’en, ribaude ! infernale sorcière ! tu es la p… des Armagnacs !

Ces immondes et obscènes injures, à elle adressées à la face de tous, ne pouvaient atteindre la vierge guerrière, forte de la conscience de son irréprochable pureté ; mais elles blessèrent cruellement cette pudeur exquise, l’un des traits les plus saillants de son naturel, et la pauvre fille se prit à pleurer[4].

Plusieurs des capitaines qui accompagnaient Jeanne souriaient méchamment, espérant que les ignobles invectives des Anglais la flétriraient aux yeux des miliciens d’Orléans et des soldats témoins de ces outrages ; il n’en fut rien : émus de sa beauté virginale, de son regard céleste, de ses larmes touchantes, éprouvant enfin ce religieux respect que sa personne inspirait à tous ceux qui l’approchaient, ils ne purent contenir leur indignation ; enflammés de courroux, ils se précipitent aux créneaux et, menaçant du poing les Anglais, leur rendent injure pour injure, criant avec exaltation :

— Noël ! Noël à Jeanne-la-Pucelle !…


  1. Procès de rév., t. III, p. 408 et 409.
  2. Ibid., p. 410.
  3. Ibid.
  4. Ibid.