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et les capitaines, dans une grande salle, où était préparé un somptueux souper pour la brillante chevauchée ; mais, timide et réservée, la Pucelle dit à maître Jacques Boucher :

— Merci à vous, messire, je ne souperai pas… s’il plaisait à votre damoiselle de me mener dans la chambre où je dois coucher et de m’aider à me désarmer, je lui serais reconnaissante. Vous m’enverriez seulement, messire, un peu de pain coupé en tranches dans de l’eau et du vin… cela me suffira[1], je dormirai ensuite ; il faut que demain matin je sois éveillée au petit jour, afin d’aller visiter les retranchements ennemis avec maître Jean-le-Coulevrinier.

La Pucelle, selon son désir, se retira conduite par Madeleine, fille de Jacques Boucher. Celle-ci, d’abord saisie d’un respect craintif à la vue de la guerrière inspirée, fut bientôt tellement enchantée de sa douceur, de sa simplicité, qu’elle lui proposa naïvement de partager sa chambre durant son séjour à Orléans. Jeanne accepta cette offre avec joie, toute heureuse de rencontrer une compagne qui déjà lui agréait beaucoup ; Madeleine l’aida gentiment à se désarmer, lui apporta sa frugale réfection, et au moment de se mettre au lit, Jeanne lui dit :

— Maintenant que je vous connais, vous et vos parents, Madeleine, je suis bien plus aise encore que Dieu m’ait envoyée pour secourir la bonne ville d’Orléans[2].

La Pucelle s’agenouilla au chevet de son lit, fit sa prière du soir, invoqua ses chères saintes, appelant avec un soupir de regret leurs bénédictions sur sa mère, sur son père, sur ses frères, et s’endormit d’un paisible sommeil, tandis que Madeleine resta longtemps éveillée, contemplant avec une muette et tendre admiration la douce héroïne.



  1. Procès de réhab., t. III, p. 124.
  2. Ibid.