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elle venait, afin de le rouir, le placer dans le ruisseau formé par l’écoulement de la source. Quoique les gens simples crussent Sybille sorcière, ses traits ne rappelaient en rien ceux que l’on prête aux vieilles femmes possédées du malin esprit : nez crochu, menton fourchu, regard de chouette et sourire ténébreux. Non, rien de plus vénérable que le pâle visage de Sybille, encadré de cheveux blancs ; ses yeux bleus brillaient d’un feu concentré, lorsqu’elle disait les antiques légendes ou les héroïques bardits de l’Armorique, sa terre natale. Sans croire aucunement à la magie, Sybille avait une foi profonde à certaines prophéties des anciens bardes gaulois ; de même que les chrétiens ont foi aux prophéties de leurs Écritures qu’ils appellent saintes. Fidèle à la croyance druidique de nos pères, la marraine de Jeannette savait que l’on ne meurt jamais et que l’on va continuer de vivre à l’infini, âme et corps, dans les étoiles, mondes nouveaux et mystérieux. Mais, respectant la religion de sa filleule, jamais Sybille ne cherchait à jeter le trouble ou le doute dans la croyance de cette enfant. Elle l’aimait tendrement, toujours prête à lui raconter quelque légende écoutée par Jeannette avec recueillement. Ainsi se développait en elle cet esprit contemplatif, réfléchi, rare à son âge et non moins frappant que la précocité de son intelligence.




La bergerette filait machinalement sa quenouille, suivant ses brebis d’un regard distrait ; elle ne vit ni n’entendit Sybille. Celle-ci, après avoir déposé à quelques pas de là et maintenu sous des pierres son chanvre exposé au courant du ruisseau, s’approcha doucement et donna un baiser sur le cou penché de sa filleule qui poussa un léger cri et dit ensuite en souriant : — Ah ! marraine. Vous m’avez fait grand’peur !

— Tu n’es pourtant pas peureuse ! ! tu as été plus brave que moi l’autre jour en courant après une grosse vipère et en l’écrasant à coups de pierre !