dement de la ville ; le regard sinistre, la haine et l’envie au cœur, il médite ses ténébreux projets. Des écuyers, des bourgeois d’Orléans armés ferment la marche du cortège, bientôt confondu dans une foule si compacte que pendant un moment le cheval de Jeanne Darc ne peut faire un pas. Des hommes, des femmes, des enfants, ravis de sa beauté, de son maintien à la fois modeste et guerrier, la contemplent avec ivresse, la comblent de bénédictions ; quelques-uns même, dans leur enthousiasme, veulent baiser ses bottines éperonnées, à demi recouvertes par les écailles de ses jambards. Aussi touchée que confuse de cet accueil, elle dit naïvement à Dunois en se tournant vers lui :
— En vérité je ne saurais avoir le courage de me défendre de ces empressements, si Dieu ne m’en défend pas lui-même[1].
En ce moment un milicien, porteur d’une torche, s’approche si près de la Pucelle pour mieux la voir, qu’il met involontairement le feu à l’extrémité de l’étendard que portait l’écuyer Daulon ; Jeanne, craignant qu’il courût quelque danger, pousse un cri d’effroi, attaque de l’éperon son cheval devant qui la foule reflue, et se rapprochant ainsi d’un seul bond de l’écuyer, elle saisit la bannière enflammée ; puis, après avoir étouffé le feu entre ses gantelets, elle la fait gracieusement flotter en l’agitant au-dessus de son casque[2], comme si elle eût voulu rassurer les gens d’Orléans sur un accident qui pouvait leur paraître de mauvais augure. Jeanne, en cette circonstance, témoigna tant de présence d’esprit et d’aisance cavalière, que la foule charmée redoubla ses acclamations. Les soldats des compagnies eux-mêmes qui, n’étant pas cette nuit-là de garde aux remparts, avaient pu se joindre à la foule, croyant voir dans la Pucelle l’ange de la guerre, se sentaient réconfortés ; il leur semblait, ainsi qu’aux archers de Vaucouleurs, que, menés hardiment à la bataille par un si gentil capitaine, ils devaient vaincre l’ennemi et venger leurs dé-