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Jeanne. Celle-ci entre bientôt, conduite par un chambellan ; elle tient sa toque à la main et porte ses habits d’homme, courte tunique, chausses à aiguillettes, bottines éperonnées. Jeanne, de plus en plus persuadée du prochain accomplissement des grands desseins qui, depuis si longtemps, fermentaient dans son esprit, se rappelant avec quel enthousiasme populaire avait été salué son départ de Vaucouleurs et acclamé son passage à travers quelques villes royales voisines de Chinon, lorsque l’on sut, par les gens du sire de Novelpont, qu’elle était envoyée de Dieu pour délivrer la Gaule du joug des Anglais ; Jeanne, se voyant enfin, elle, pauvre bergère venue du fond de la Lorraine, admise en présence de son roi, croyait reconnaître à chaque pas de sa route le puissant concours du ciel. D’abord intimidée à l’aspect des courtisans, elle se réconforte, et, le front haut, le maintien modeste et assuré, elle s’avance dans la galerie ; mais bientôt, baissant les yeux devant certains regards licencieux provoqués par sa beauté, elle rougit et souffre dans sa pudeur, sans défaillir dans sa foi en son destin. Soupçonnant déjà vaguement le mauvais vouloir de plusieurs personnages de l’entourage du roi, qui depuis son arrivée la tenaient reléguée au château du Coudray, elle redoute un piége et dit au chambellan qui la guidait :

— Ne me trompez pas… montrez-moi le dauphin de France[1] !

Le chambellan indique du geste le sire de Trans, se prélassant sous un dais à l’extrémité de la galerie ; ce seigneur, homme de haute stature, de forte corpulence, atteignait la maturité de l’âge. Jeanne, durant sa route, avait souvent interrogé le chevalier de Novelpont sur Charles VII, sur ses dehors, sur ses traits ; apprenant ainsi que ce prince était chétif, pâle, de petite taille, et ne trouvant aucun rapport entre ce portrait et la figure du sire de Trans, elle s’aperçut aisément que l’on se jouait d’elle. Blessée au cœur de cette jonglerie, preuve de défiance outrageante ou plaisanterie indigne de la royauté,

  1. Chronique de Perceval, c. IV, p. 49.