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du pape ! tu n’auras que le choix ! sans parler d’Audruche-la-Bernée et de Margot-la-Savourée, je connais une certaine Isabiau-la-Boudinière, non moins appétissante que ses compagnes ; Agnès-la-Tronchette et Jehanne-la-Clopine

Guillaume Caillet, blessé des railleries de l’écolier, lui répond-il brusquement : — Je suis étranger à Paris, je viens de loin et je…

— Bon… tu veux sans doute entrer à l’Université ? — dit Rufin en interrompant Guillaume et redoublant d’hilarité. — Tu es un peu barbon pour un bachelier ; mais il n’importe ; quelle faculté choisiras-tu ? la théologie ou la médecine ? les arts, les lettres ou le droit canon ?

— Ah ! ces gens des villes, — reprit le vieux paysan avec une poignante amertume, — ils ne valent pas mieux que les gens des châteaux ! Va, pauvre Jacques Bonhomme, tu as partout des ennemis et nulle part des amis !

Et Guillaume fit un pas pour s’éloigner ; mais Rufin, touché de l’accent navré du campagnard, lui dit : — Ami, si je vous ai blessé, excusez-moi… Non, nous ne sommes pas les ennemis de Jacques Bonhomme, nous autres citadins, car nous avons un ennemi commun : la noblesse.

Guillaume, toujours soupçonneux, gardait le silence et tâchait de lire sur les traits de l’écolier si ses paroles ne cachaient pas un piége ou une nouvelle raillerie. Rufin devina la pensée du serf, l’examina plus attentivement, et, frappé du caractère sinistre de ses traits résolus, il reprit : — Que je meure comme un chien si je ne vous parle pas sincèrement ! Ami, vous paraissez avoir beaucoup souffert ; vous êtes étranger ; disposez de moi ! Je ne vous offre pas ma bourse, car je n’en ai point ; mais je vous offre la moitié du grabat où je couche, dans une chambre d’écoliers de ma province et votre part de notre maigre pitance !

Le paysan, convaincu cette fois de la franchise du citadin, lui répondit : — Je n’ai pas le temps de rester à Paris ; je voudrais seule-