et interrompant son ami, — ne vas-tu pas croire qu’en ton absence Jacques Bonhomme forcera ta fiancée ?
— Tu ris, et cependant tantôt ces vilains, chose inouïe, ont osé nous injurier, nous menacer, se ruer sur nous comme des bêtes féroces qu’ils sont.
— Parles-tu sérieusement ? n’as-tu pas vu ces croquants fuir devant nos chevaux comme une nichée de lapins ? les supplices de ce soir complèteront la leçon, et Jacques Bonhomme restera, pardieu ! Bonhomme comme devant. Allons, déride-toi… et tiens… quoique je préfère cent fois la chasse, les tournois, le vin, le jeu et l’amour aux sottes et périlleuses prouesses de la guerre, je t’accompagnerai à l’armée, afin de te ramener vite près de la belle Gloriande. Quant aux Anglais prisonniers que tu dois conduire enchaînés à ses pieds, comme gage de ta vaillance, nous ramasserons à quelques lieues du manoir de ta dame les premiers manants qui nous tomberont sous la main, nous les garrotterons en leur défendant de prononcer un seul mot sous peine d’être pendus, et ils représenteront suffisamment les Anglais captifs. Ne trouves-tu pas l’idée plaisante ? Conrad, Conrad, à quoi songes-tu ?
— J’ai peut-être eu tort d’user de mon droit sur la femme de ce vassal, — reprit le sire de Nointel d’un air sombre et pensif ; — c’était un caprice libertin, car j’aime Gloriande ; mais la résistance de ce coquin qui t’accusait de vol… m’a irrité. — Puis, après un moment de silence, le sire de Nointel s’adressant à son ami : — Dis-moi la vérité ; entre nous, tu n’as pas larronné ce vilain ? le tour eût été plaisant… mais…
— Conrad, ce soupçon…
— Eh ! ce n’est pas dans l’intérêt de ce manant défunt que je te fais cette question, mais dans mon intérêt à moi.
— Comment cela ?
— Si ce vassal avait été injustement noyé… sa prophétie serait peut-être plus menaçante.