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moment surprise et effrayée de l’agression de Jacques Bonhomme, agression jusqu’alors inouïe, se rassura, et bientôt ayant à sa tête le sire de Nointel, une cinquantaine d’hommes d’armés, de sergents et de chevaliers sautant à cheval, s’avança en bon ordre, chargea à coups d’épée, de lance et des masses d’armes, les vassaux révoltés ; les femmes, les enfants mêlés à la foule, renversés, broyés sous les pieds des chevaux, poussèrent des cris déchirants ; les paysans, sans ordre, sans chefs et déjà effrayés de leur propre audace, dont ils redoutaient les suites, prirent la fuite de tous côtés à travers la prairie ; quelques-uns d’entre eux, les plus valeureux et les plus acharnés, se firent massacrer par les chevaliers, ou, trop grièvement blessés pour pouvoir s’échapper, restèrent prisonniers. Au plus fort de cette mêlée, Adam-le-Diable, déjà renversé d’un coup d’épée à la tête, cherchait à se relever, lorsqu’il sentit une main d’Hercule le saisir par le collet, le relever et, malgré sa résistance, l’entraîner loin de ce champ de carnage ; le serf reconnut Mahiet, qui lui dit, en le forçant toujours de le suivre : — Viens, tu seras un homme précieux au vrai jour de la révolte… mais se faire tuer aujourd’hui, c’est folie… Viens.

— Mazurec est perdu ! — s’écria le serf avec désespoir en se débattant contre l’Avocat ; mais celui-ci, sans répondre à Adam-le-Diable, déjà très-affaibli par la perte du sang qui coulait de sa blessure, le força de se blottir près de lui à l’abri d’un amoncellement de branchages provenant des arbres abattus pour construire l’enceinte des lices.




Le soleil s’est couché, la nuit vient. Les nobles dames, effrayées de l’émotion populaire, ont quitté le lieu du tournoi et, remontant sur leurs haquenées ou en croupe de leurs chevaliers, se sont dirigées vers leurs manoirs. À deux portées de trait des lices où sont restés les cadavres d’un assez grand nombre de serfs tués lors de leur vaine tentative de révolte, coule la rivière l’Orville. D’un côté, ses bords sont