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tôt… Chacun dispose à son gré de sa personne, de ses biens et de ses hommes.

— Quant à moi, — s’écria la belle Gloriande avec une fière indignation, — je n’accorde pas ma main à Conrad de Nointel, s’il ne part pour la guerre et s’il ne revient couronné des lauriers de la victoire amenant à mes pieds dix Anglais enchaînés. Honte et lâcheté ! un preux chevalier rester coi, lorsque son roi l’appelle aux armes !

Malgré les héroïques paroles de Gloriande et quelques rares protestations contre l’égoïste et ignominieuse couardise du plus grand nombre de ces seigneurs, un murmure général d’approbation accueillit les paroles du vieux sire de Chivry qui, encouragé par cet assentiment presque unanime, se dressa sur sa banquette et répondit au héraut d’une voix retentissante :

— Messire, au nom de la noblesse du Beauvoisis, je te réponds ceci : Nous avons si fort à faire dans nos domaines qu’il nous serait désastreux de nous en aller guerroyer au loin ; d’ailleurs, l’on avisera aux demandes du roi, lorsque les députés de la noblesse et du clergé seront prochainement réunis en assemblée aux états généraux.

Une soudaine explosion de huées, partie de la foule, répondit aux paroles du sire de Chivry, et Adam-le-Diable, laissant pour quelques instants Mahiet-l’Avocat auprès de Mazurec qui, revenu à lui, attendait l’heure de son supplice, courut se mêler à différents groupes de serfs, leur disant :

— Les entendez-vous, ces biaux sires… couards ? À quoi sont-ils bons ? À se battre dans les tournois avec des lances sans fer et des épées sans tranchant, ou à faire les bravaches en se battant armés de pied en cap contre Jacques Bonhomme armé d’un bâton.

— C’est vrai, — répondirent plusieurs voix courroucées.

— Pauvre Mazurec-l’Agnelet ! ça fendait le cœur de voir son visage saigner sous les gantelets de fer de ce noble.

— Et maintenant, ils vont mettre Mazurec dans un sac et le jeter à l’eau ! Ma fine… c’est vraiment point juste…