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Mazurec-l’Agnelet poussa un hurlement de rage et se précipita dans la lice au moment où, répondant à un geste du seigneur de Nointel, le maréchal du tournoi donnait le signal du combat à l’appelant et à l’appelé en criant par trois fois :

— Laissez-les aller.

La noble assistance de l’amphithéâtre riait d’avance de la piètre défaite de Jacques Bonhomme ; mais, dans la foule plébéienne, tous les cœurs se serrèrent avec angoisse, dans ce moment décisif. Le chevalier de Chaumontel, homme vigoureux, armé de toutes pièces, monté sur un grand cheval bardé de fer, sa longue lance en arrêt, occupait le milieu de la lice, lorsque Mazurec s’y élança pieds nus, vêtu de sa blouse et tenant à la main son bâton. À l’aspect du serf, le chevalier, qui, par mépris pour un pareil adversaire, avait dédaigné d’abaisser sa visière, piqua son cheval de l’éperon en baissant sa lance au fer acéré (elle n’était pas courtoise, celle-là), et chargea son adversaire, certain de le transpercer du premier coup et de le fouler ensuite aux pieds de son cheval. Mais Mazurec, se souvenant des avis de Mahiet, évita le coup de lance en se jetant brusquement à plat-ventre ; puis, se relevant à demi au moment où le cheval allait le broyer sous ses sabots, il lui asséna des deux mains un si violent coup de bâton sur les jambes du devant que le coursier, à cette vive atteinte, fléchit, fit un faux pas, faillit à s’abattre et ébranla son cavalier sur sa selle.

— Félonie, — cria le sire de Nointel avec indignation, — il est défendu de frapper aux chevaux.

— Bien touché, brave bonnet de laine, — cria le populaire palpitant d’angoisse et battant des mains, malgré la sévérité des ordonnances royales qui commandaient aux spectateurs d’un tournoi le plus profond silence.

— Hardi, Mazurec ! — crièrent aussi Mahiet et Adam-le-Diable, — courage ! assomme le noble ! tue-le !

Mazurec, voyant le chevalier ébranlé sur ses arçons par le faux pas