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fiques, Gloriande l’accomplit sans rougir et avec une aisance coutumière, car, grâce à sa beauté, la damoiselle de Chivry a été mainte fois choisie dans le pays comme reine des tournois. Les clairons sonnent la victoire du chevalier au lion d’argent victorieux qui, se rengorgeant sous sa riche écharpe, met le poing sur la hanche, fait le tour de la lice et sort par l’une des barrières. Ces premières passes d’armes sont suivies d’un intervalle pendant lequel les pages du sire de Nointel, porteurs de coupes, de plats et de hanaps d’or et d’argent qui étincellent aux yeux éblouis des manants, font circuler parmi la noble assistance de l’amphithéâtre l’hypocras et les vins épicés, accompagnés de fines et succulentes pâtisseries. Chacun fait honneur à l’hospitalière magnificence du seigneur de Nointel. Ces seigneurs, leurs femmes et leurs filles achevaient de prendre gaiement leur réfection en devisant des divers incidents du tournoi, lorsqu’un sourd frémissement courut soudain dans la foule des paysans et des bourgeois entassés en dehors des barrières. Le populaire, jusqu’alors témoin des joutes, de la passe d’armes, n’avait éprouvé qu’un sentiment de curiosité ; mais dans le combat qui, disait-on, allait suivre ces luttes inoffensives, le populaire se sentait pour ainsi dire en cause. Il s’agissait d’un duel à mort entre un vassal et un chevalier, celui-ci à cheval et armé de toutes pièces, le vassal à pied, vêtu d’un sarrau et armé d’un bâton. Les plus craintifs, les plus abrutis des vassaux se sentaient révoltés à la pensée de cette lutte d’une lâche et féroce inégalité qui vouait l’un des leurs à une mort certaine. Ce fut donc au milieu d’un silence plein d’angoisse et d’irritation contenue que l’un des hérauts d’armes cria par trois fois, en s’avançant au milieu du champ clos les mots consacrés : — Que l’appelant vienne !

Le chevalier Gérard de Chaumontel, qui en appelait à l’épreuve du duel judiciaire contre l’accusation de vol soutenue par Mazurec, sort de l’une des tentes voisines et entre à cheval dans la lice armé de toutes pièces ; son bouclier pend à son cou, sa visière est levée ; il porte à la main une petite image de saint Jacques, pour lequel ce bon ca-