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pas de grâce pour eux ; un grand nombre sont suppliciés en public, mais les conseillers royaux, craignant de pousser Paris à bout par les exécutions réitérées, enveloppent leurs meurtres de ténèbres. Les révoltés, cousus dans des sacs, sont nuitamment jetés à la Seine, le gouffre muet emporte son invisible proie ; d’autres révoltés, afin d’échapper à ce supplice, se tuent dans leur prison. Ces obscures victimes ne suffisent pas aux vengeances royales, et, entre autres notables, Jean Desmarets, vieillard de soixante-dix ans, l’un des magistrats les plus vénérés du parlement, est conduit sans jugement au gibet ; il dit à haute voix, impassible devant la mort : — « Où sont-ils, ceux qui m’ont jugé ? qu’ils viennent et qu’ils osent avouer les motifs de ma condamnation. » — Jean Desmarets subit vaillamment son supplice, d’autres Maillotins moururent non moins courageusement. La réaction, redoublant d’audace et de fureur, ivre de sang, ivre de son triomphe, se déchaîne sur Paris ; la milice bourgeoise est désarmée, les portes de la ville enlevées, les offices électifs abolis, la justice municipale détruite, la gestion des deniers de la cité mise aux mains avides des officiers royaux, les maîtrises, les corporations d’artisans supprimées, enfin toutes les libertés conquises au prix du sang de nos pères et de luttes séculaires sont anéanties en un jour (ou plutôt pour un jour… ne désespérez pas, fils de Joel) ; le tyranneau Charles VI rétablit d’un trait de plume toutes les taxes écrasantes du passé, y compris celles que son père Charles V avait été obligé d’abolir après la mort de Marcel. Rouen, Reims, Orléans, Troyes, Sens, Châlons, sont traitées avec la même férocité, leur bourgeoisie, leurs corporations d’artisans décimées par les supplices ou frappées par d’énormes rançons ; enfin, comme à Paris, on tue les pauvres, l’on spolie les riches ; le roitelet Charles VI, ses oncles, leurs principaux courtisans se partagent le fruit de ces rapines, se réjouissent d’avoir étouffé dans le sang le légitime esprit de révolte d’un peuple opprimé, et, ainsi que vous l’avez vu si souvent, fils de Joel, dans la légende de notre famille, la liberté, la justice, la foi jurée, le droit,