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criait les larmes aux yeux : — Ah ! la pauvre femme ! ainsi mise à mort ! quel courage il a fallu à son mari pour se résoudre à une si effrayante extrémité !

— Oui… les hommes de résolution sont rares.

— Hélas ! messire avocat, ceux-là qui, dégradés par le servage, restent indifférents à tant d’ignominie, sont peut-être moins à plaindre que ceux qui la ressentent.

— Mais le plus grand nombre d’entre eux la ressent, — s’écria Mahiet. — En vain, les seigneurs réduisent ces malheureux à l’état des brutes. Est-ce que, même parmi les bêtes sauvages, le mâle ne défend pas jusqu’à la mort la possession de sa femelle ? Est-ce que, si grossiers, si abrutis, si craintifs que soient les hommes, ils ne deviennent pas jaloux dès qu’ils aiment ! L’amour n’est-il pas leur seul bien, l’unique consolation de leurs misères ? Sang et mort ! je me sens féroce quand je songe à la rage, au désespoir du serf voyant l’humble compagne de ses tristes jours à jamais souillée par son seigneur !

— Ah ! messire, — dit Alison les larmes aux yeux, — en parlant ainsi, vous racontez l’histoire de ce pauvre Mazurec, ce jeune garçon de qui je voulais vous entretenir

Guillaume Caillet, en entendant prononcer ce nom de Mazurec, tressaillit de nouveau, se leva brusquement de son siége ; puis, faisant un violent effort sur lui-même, il se rassit et prêta une attention croissante à l’entretien d’Alison et de Mahiet. Celui-ci parut aussi très-frappé du nom de Mazurec, prononcé par la cabaretière, et lui dit :

— Quoi ! le serf dont il est question s’appelle Mazurec ?

— Oui ; d’où vient votre étonnement, messire ?

— C’est que ce nom est l’un des noms de mon père ; et quel âge a-t-il, ce jeune homme ?

— Il doit avoir au plus vingt ans ; sa mère est morte depuis longtemps, elle n’était pas de ce pays.

— D’où venait-elle donc ?

— Je ne sais. Elle est arrivée ici peu de temps avant de mettre au