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de même que la plaie cautérisée par le fer devient pendant quelque temps plus douloureuse. Ces maux, ces misères, portés à leur comble par les ravages des Anglais depuis la défaite de Poitiers, le peuple les a d’abord vaillamment endurés, pressentant les résultats de notre révolution de 1357 et plein d’espoir en elle. Le conseil de ville, présidé par moi, les gouverneurs, comme on nous appelle, ont dû exercer une dictature temporaire, recourir souvent à des mesures énergiques, terribles, nous avions les Anglais à nos portes et le parti de la cour dans nos murs ! le peuple a d’abord accepté cette dictature au nom du salut de la cité. Mais, hélas ! malgré ses côtés héroïques, le peuple est encore dans l’enfance ; servage et ignorance pèsent sur lui depuis des siècles. Irrésistible dans son premier élan, bientôt il faiblit, il désespère, parce qu’il ne voit pas à l’instant ses vœux réalisés… En ces heures de découragement, ses éternels ennemis reprennent audace et confiance… Nous assistons aujourd’hui à l’une de ces funestes défaillances, perfidement exploitées par le parti de la cour ; le peuple est las de ses souffrances fécondes… et il touchait au moment du repos, de la paix, du bien-être !… Le peuple est las de notre dictature… et, grâce à elle, il allait jouir de ses libertés !… Aussi, dans sa désespérance crédule, il a ouvert l’oreille aux pernicieuses paroles de ses ennemis ! oui, sur le point d’achever, d’inaugurer son œuvre d’affranchissement qui lui a déjà tant coûté, il y renonce !… Il avait péniblement creusé le sillon, semé le grain, la récolte était mûre, et il jette la faux avec désespoir au moment de la moisson ! ! ! il commence à déplorer sa rébellion ; il est près de nous maudire, nous qui, pour sa délivrance, avons sacrifié notre repos, nos biens, notre vie. Il croit qu’en se soumettant humblement au régent, qu’en reprenant son joug séculaire, ses maux s’apaiseront. Que sais-je !… demain, peut-être, il me traînera aux gémonies, moi jadis son idole ! pauvre cher peuple  ! — ajouta Marcel avec un accent de commisération triste et tendre, — pauvre enfant héroïque et naïf ! si fort dans la lutte ! si faible dans la victoire… Je voulais d’enfant t’élever en un jour à la