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voyant pour n’avoir pas déjà reconnu tout ce qu’il a perdu en anéantissant la Jacquerie, et combien maintenant il a peu de chances d’usurper la couronne. Il a dû penser à un accommodement éventuel avec le régent dans le cas où notre cause, à laquelle il paraît encore attaché, serait compromise ou perdue…

— Quoi ! Charles-le-Mauvais traiter avec le régent ?

— Tout me le prouve… La conduite du roi de Navarre, depuis ces derniers temps, décèle un homme flottant entre l’ambition de monter sur le trône et la crainte d’une défaite, qu’il payerait de sa vie et de la perte de ses domaines. Il nous envoie quelques renforts insignifiants ; mais il refuse d’entrer dans Paris. Il a accepté le titre de capitaine général de notre cité ; mais la reine sa mère a, je le sais de bonne source, de fréquentes entrevues avec le régent. Enfin, mon ami, pas d’illusions : j’ai voulu ce soir rassurer ma femme ; mais le moment est critique. Le parti de la cour exploite contre nous, avec sa perfidie habituelle, les malheurs publics ; tandis qu’ils ont eu pour cause première les folles prodigalités de la cour et la lâcheté de la noblesse, dont la honteuse défaite à la bataille de Poitiers a livré la Gaule aux Anglais. Le roi Jean et ses créatures, par leurs rapines, par leurs violences, par des impôts écrasants, ont enfin poussé à bout les villes et les campagnes ; une révolution a éclaté. Nous avons conquis des réformes radicales ; elles devaient inaugurer une ère de paix, de prospérité sans égale, puisque la liberté c’est à la fois l’indépendance et le bien-être.

— Vérité profonde, maître Marcel : la tyrannie engendre toujours la servitude, et la servitude, la misère. L’insurrection des serfs, les délivrant de la tyrannie de la seigneurie, pouvait seule leur assurer la jouissance des fruits de la terre qu’ils cultivent aujourd’hui pour leurs bourreaux.

— Oui ; mais toute révolution est laborieuse et rude : elle ne peut du jour au lendemain remédier à des maux qui sont le fatal héritage du passé ; parfois même ces maux s’aggravent momentanément,