Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de serfs, hommes, femmes, enfants, partisans ou non de la Jacquerie, et livré leurs villages aux flammes… C’en est donc fait… pour longtemps du moins, de l’alliance des gens des villes et des gens des campagnes. L’anéantissement de la Jacquerie réduit la bourgeoisie à ses seules forces pour lutter contre le régent ; elle doit accepter cette lutte inégale ou se livrer à Charles-le-Mauvais, et au lieu de lui imposer des conditions… subir les siennes.

— Tel était l’espoir de ce fourbe sanguinaire ; il ne me l’a pas caché lors de notre entrevue à Clermont.

— Cependant cet habile politique, en massacrant les Jacques, s’est privé de puissants auxiliaires contre le régent, dont les troupes sont de beaucoup supérieures en nombre, en discipline à celles du roi de Navarre.

— Ah ! misérable prince ! s’il avait suivi vos généreux conseils, ses bandes, renforcées de milliers de paysans en armes et des milices bourgeoises, écrasaient les troupes royales ; et, profitant de l’élan des populations, non moins exaspérées contre les Anglais que contre les seigneurs, Charles de Navarre chassait l’étranger de la Gaule et montait sur le trône au milieu des acclamations d’un peuple qu’il gouvernait, soumis lui-même à l’autorité des Assemblées nationales !

— Oui, telle pouvait être la glorieuse mission de Charles-le-Mauvais ; cette mission pourrait encore être la sienne, s’il avait le courage, la sagesse, la loyauté de se vouer corps et âme à un si noble but ; je te le démontrai bientôt… Mais à cette heure, dans les dispositions incertaines où je l’ai laissé, il n’est, ainsi que nous, qu’un rebelle à l’autorité du régent. Celui-ci est puissant, il commande à des forces considérables ; il a pour lui la tradition monarchique qui, aux yeux des peuples, se perd dans la nuit des âges ; il a pour lui son nom royal, la cour, les courtisans, le clergé, les officiers royaux, les gens du fisc et de justice, tous ceux enfin qui vivent d’abus ou d’exactions, clientèle immense qui donne au régent une force redoutable… Aussi, crois-moi, Mahiet, je connais Charles-le-Mauvais trop clair-