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Marguerite partagea la pensée de sa nièce, et dit à la femme de l’échevin :

— Veuillez m’excuser ; il me faut recevoir la personne que l’on m’annonce…

— Adieu, bonne dame Marcel, — dit la femme de l’échevin en faisant un pas vers la porte ; — et surtout n’oubliez pas mes avis. Il faut savoir se résigner à ce qu’on ne peut empêcher… les jours se suivent et ne se ressemblent pas… tel qui était hier triomphant se voit aujourd’hui… vous m’entendez de reste… Bonsoir, pauvre chère dame, bonsoir !

L’envieuse sortit en jetant à la dérobée un regard de vipère sur Marguerite ; bientôt Alison-la-Vengroigneuse, restée en dehors de la salle, accourut à l’appel de Denise.

La jolie cabaretière était toujours accorte ; ses beaux yeux noirs, ses dents blanches, son gracieux corsage, et surtout son excellent cœur justifiaient la préférence que l’écolier Rufin accordait à cette aimable et honnête femme au détriment de Margot-la-Savourée. Enfin, grâce à Mahiet, Alison avait, non-seulement sauvé son honneur des violences du capitaine Griffith, mais aussi soustrait à la rapacité de l’Anglais une somme d’or assez rondelette, cousue dans les plis de sa cotte. Mahiet-l’Avocat d’armes, jadis son défenseur contre Simon-le-Hérissé, puis, plus tard, son libérateur, alors qu’elle était exposée aux forcenneries du bâtard de Norfolk, avait d’abord inspiré à Alison un sentiment plus tendre que la reconnaissance ; mais la jeune femme, instruite des fiançailles de Denise et de Mahiet, luttant bravement contre son penchant naissant, et voulant s’en distraire, s’était plu à remarquer que Rufin-Brise-Pot, malgré sa turbulence, ne manquait ni de dévouement, ni de cœur, ni d’esprit, ni d’agréments extérieurs. Aussi, depuis que, fuyant les horreurs de la guerre qui désolait le Beauvoisis, elle s’était réfugiée à Paris, recommandée par Mahiet à la bienveillance de la famille du prévôt des marchands, Alison avait souvent revu l’écolier dans la petite chambre de l’au-