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ma provende à moi, et afin qu’elle me semble meilleure, vous la partagerez, n’est-ce pas ? avec moi en causant, car j’ai beaucoup de renseignements à vous demander. — Puis, relevant sa cotte de mailles pour fouiller dans une pochette de cuir, le cavalier y prit une pièce d’argent et, la donnant à Alison, lui dit gaiement :

— Voici d’avance pour mon écot, car je ne suis pas de ces routiers comme on en rencontre tant de nos jours, qui payent leur hôte à coups d’épée ou en dévalisant la maison ; — mais voyant la cabaretière examiner la pièce avant de l’embourser, il ajouta en riant : — Acceptez cette pièce d’argent comme je l’ai reçue, les yeux fermés ; le diable, le roi Jean et le maître des monnaies de cet honnête prince savent seuls ce que vaut cette pièce et si elle contient plus de plomb que d’argent.

— Ah ! messire chevalier, n’est-il pas terrible de penser que notre seigneur le roi est faux-monnayeur forcené ! Quel temps que le nôtre ! ne jamais savoir la valeur de ce qu’on possède !

— Vrai Dieu ! votre amoureux n’est point dans cette fâcheuse ignorance, je le gagerais, belle hôtesse ?… Allons, vous achèverez de rougir de modestie pendant que votre servante me montrera le chemin de l’écurie, après quoi vous me préparerez mon déjeuner ; mais vous le partagez avec moi, c’est entendu.

— Comme il vous plaira, messire chevalier, — répondit Alison de plus en plus charmée de la bonne humeur de l’étranger ; aussi s’occupa-t-elle promptement des préparatifs du repas et plaça bientôt sur l’une des tables de la taverne une appétissante tranche de lard entourée de fenouil vert, des œufs à la poêle, du fromage et un pot de cervoise mousseuse.

Le serf Guillaume Caillet, oublié par la cabaretière, le front appuyé dans ses deux mains, semblait étranger à ce qui se passait autour de lui et se tenait assis sur son banc, non loin de la table où se placèrent bientôt Alison et le voyageur. Celui-ci, de retour de l’écurie, se débarrassa de son casque, de son poignard et de son épée