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représailles étaient légitimes… si légitime est la loi qui punit le meurtre en tuant le meurtrier !

Ces Jacques à demi sauvages, poussés à bout par le désespoir, n’ayant à attendre aucune justice des hommes, rendaient, dans leur aveugle fureur, le mal pour le mal ! Si épouvantable qu’elle fût, qu’était-ce donc que leur vengeance d’un jour auprès des atrocités sans nombre dont notre race asservie est victime depuis la conquête de Clovis !… Et cependant, telle est l’amertume de la plus juste vengeance, que je maudissais doublement nos oppresseurs séculaires : leur impitoyable cruauté n’avait-elle pas provoqué ces épouvantables représailles !…




La nuit va bientôt faire place au jour, la lune se couche, les premières lueurs de l’aube empourprent l’orient. Une troupe de Jacques, après avoir mis à feu et à sang le manoir de Chivry, dont tous les habitants ont péri dans l’incendie, une troupe de Jacques se dirige, en gravissant une haute colline, vers le pont de l’Orville, du haut duquel, l’année précédente, Mazurec, mis en sac, a été jeté à la rivière. À la tête de cette troupe marchent Guillaume Caillet, Mazurec, Mahiet et Adam-le-Diable ; viennent ensuite les Jacques, conduisant garrottés le sire de Nointel et le chevalier de Chaumontel, demi-nus et désarmés. Mazurec-l’Agnelet, coiffé du casque du chevalier de Chaumontel, revêtu de sa cuirasse et de sa cotte de mailles, armé de son poignard et de son épée, marche entre Mahiet-l’Avocat d’armes et Guillaume. Celui-ci, s’arrêtant au sommet de la colline qu’ils venaient de gravir, et d’où l’on découvrait le pays à trois à quatre lieues à la ronde, grâce aux premières lueurs de l’aube, s’écrie en désignant tour à tour différents points de l’horizon rougi par les flammes ou obscurci par leurs noires fumées :

— Voyez-vous le château de Chivry, le château de Bourgueil, le château de Saint-Prix, le château de Montsorin, le château de Vil-