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les dalles, qu’il rougit de son sang, et en expirant murmure ces seuls mots :

— Monseigneur… oh !… monseigneur !

À ce spectacle, un cri d’horreur et d’effroi part de toutes les bouches. La belle Gloriande se jette, saisie d’épouvante, dans les bras de Conrad ; il cherche machinalement à son côté son épée ; mais il l’avait quittée en changeant son armure pour ses habits de cour. L’assemblée, morne, stupéfaite, garde pendant un instant le silence, et l’on entend éclater au loin de formidables rumeurs… Elles se rapprochent de plus en plus… un autre écuyer, pâle, couvert de sang, accourt et s’écrie d’une voix entrecoupée :

— Trahison !… trahison ! ! Les prisonniers anglais ont égorgé les gardes de la poterne du château… et l’ont ouverte à une multitude furieuse… Les voilà ! les voilà !

Aussitôt, ces cris répétés par une foule de voix : Jacquerie ! Jacquerie ! retentissent au dehors de la grande salle, et les vitraux des fenêtres défoncées à coups de fourches et de haches volent en éclats.

Une bande nombreuse de Jacques, conduits par Adam-le-Diable et par ses compagnons, à figure noircie, qui avaient ainsi que lui joué le rôle de captifs anglais, pénètrent dans la salle du festin, à travers ses croisées ; la noble assistance épouvantée reflue d’un même mouvement vers la porte principale, espérant fuir de ce côté ; mais à cette porte apparaissent Guillaume Caillet et Mazurec-l’Agnelet, à la tête d’une autre troupe de Jacques armés de bâtons, de coutres de charrue et de faux, teints du sang de la garnison du château qu’ils viennent de massacrer, la surprenant ivre au milieu des liesses de la fête nuptiale. Presque tous ces paysans révoltés étaient vassaux des seigneurs de Nointel et de Chivry. À l’aspect de cette foule, hâve, farouche, ensanglantée, demi-nue, traînant les haillons de la misère et du servage, les dames, les damoiselles, poussant des cris de terreurs, s’entassent éperdues au fond de la grand’salle. La belle Gloriande se jette frémissante entre les bras de son mari. Les seigneurs ayant, se-