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— dit Aveline en frémissant et enlaçant de ses bras son mari, qui s’était redressé pour écouter les paroles du bailli ; d’abord accueillies par un morne silence de stupeur et d’effroi, elles se répètent de bouche en bouche parmi les vassaux. Ces malheureux tenaient d’autant plus âprement à leur petit pécule, leur suprême ressource, fruits de leurs labeurs écrasants, de privations homicides, qu’ils n’avaient pu jusqu’alors le soustraire à la rapacité de leurs seigneurs qu’à force de soins, de ruses, luttant même avec une héroïque ténacité contre la torture qu’on leur infligeait afin de leur arracher l’aveu de l’endroit où ils enfouissaient le peu qu’ils possédaient. Aussi, le premier moment de stupeur passé, des cris d’indignation et de révolte éclatent parmi les serfs :

— Quoi ! — disent-ils, — nous quittons nos maisons pour vivre dans les cavernes comme des bêtes fauves, et l’on vient nous traquer jusqu’ici !

— Être pillés par les Anglais, et nous voir encore forcés de payer la rançon de notre seigneur !

— Non, non ! Qu’on nous fume, qu’on nous brûle, qu’on nous massacre… on ne tirera pas un denier de nous !

— Non, nous jetterons plutôt dans le puits les quelques sous qui nous restent !

Il fallut peu de temps au bailli pour dire son pater et son ave. Lorsqu’il les eut dits, ne voyant aucun des serfs sortir de leur refuge pour apporter la somme exigée par lui, il donna l’ordre de fumer le terrier de Jacques Bonhomme, opération facile. L’on descendait dans le souterrain par un passage étroit et d’une pente assez rapide taillé dans le roc ; les Anglais de Griffith et les gens du bailli entassèrent dans ce couloir des broussailles sèches, y mirent le feu, et, à l’aide de leurs longues lances, poussèrent dans ce foyer embrasé des branchages verts dont la vapeur, âcre, épaisse, remplit bientôt l’intérieur du souterrain, la seule ouverture qui aurait pu donner issue à la fumée ayant été d’avance hermétiquement bouchée.