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grosses pierres et des broussailles donne un peu de jour et un peu d’air à cet asile souterrain, sombre, glacial et suintant incessamment les pleurs de la terre. Là sont rassemblées plus de mille personnes, hommes, femmes, enfants ; tous ont fui leurs demeures. Le lait du bétail, quelques poignées de seigle ou de blé qu’ils mangent après l’avoir concassé entré deux pierres, entretiennent plutôt qu’ils n’apaisent l’angoisse de la faim chez ces infortunés. Une chaleur humide, suffocante, nauséabonde, causée par cette agglomération d’hommes et d’animaux, règne dans ces lieux sinistres. Tantôt l’on entend des gémissements plaintifs ; tantôt l’éclat de querelles violentes, ainsi qu’il en surgit toujours parmi des hommes presque sauvages exaspérés par la souffrance. Des enfants hâves, demi-nus, mais conservant l’insouciance de leur âge, jouaient en ce moment aux abords du puits, alors éclairés par un rayon de soleil filtrant à travers les roches et les broussailles dont était à demi obstruée l’unique ouverture de la voûte ; ce rayon jetait aussi sa vive lumière sur un groupe de trois personnes placées dans un enfoncement, à peu de distance du puits. Ces trois personnes sont Aveline-qui-jamais-n’a-menti, Alison-la-Vengroigneuse et Mazurec-l’Agnelet.

La cabaretière, lors du pillage de la petite ville de Nointel par les hommes du capitaine Griffith, ayant pu sauver ce qu’elle possédait d’argent, s’était rendue au village de Cramoisy, où elle savait retrouver Aveline. En apprenant dans ce village que les Anglais continuaient de ravager le pays, elle avait, ainsi que les paysans, cherché un abri dans le souterrain.

Aveline, dans un état de grossesse avancé, s’attend d’un jour à l’autre à mettre au monde l’enfant de sa honte et du viol commis sur elle par son seigneur. À peine vêtue de quelques haillons, elle est couchée sur la terre froide et dure ; Alison, toujours compatissante, soutient sur ses genoux la tête languissante et pâle de la jeune femme, dont la maigreur est effrayante. Ses joues caves font paraître ses yeux démesurément grands ; elle les attache en ce moment d’un