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hâter le soulèvement des serfs des campagnes, hochait la tête avec une expression de triomphe sinistre. Le prévôt des marchands, les bras croisés sur sa poitrine, le front penché, les lèvres contractées par un sourire amer, dit lentement après quelques moments de silence : — Telles ont été les paroles du régent en me quittant : — « Mon bon père, je vous en conjure, allez prendre un peu de repos, la nuit s’avance, et je désire, demain au point du jour, reprendre nos travaux avec une ardeur nouvelle. Allez vous reposer, mon bon père, et comme moi vous jouirez de ce doux sommeil que nous donne la conscience d’avoir fait le bien. » Oui, telles ont été les dernières paroles de ce jeune homme.

— Ah ! Marcel ! — dit Marguerite avec abattement, — combien tu dois regretter ta confiance en lui !

— Ne regrettons jamais d’avoir cru au repentir des hommes, car nous deviendrions impitoyables. Et puis, il est des trahisons si noires, si monstrueuses que, pour les soupçonner, il faudrait être presque capable de les commettre. — Et, après un nouveau silence méditatif, Marcel reprit : — Je croyais épargner à la Gaule de nouveaux déchirements ! vaine espérance ! Allons, c’est la guerre ! ce jeune homme l’aura voulu ! Malheureux fou ! quel glorieux avenir il sacrifie ! je le plains !

— Tu le plains, — s’écria Marguerite, — et ses dernières paroles ont été des menaces de mort contre toi !

— Chère femme ! s’il ne s’agissait que de ma tête, je n’engagerais pas une lutte terrible. J’ai, quoi qu’il arrive, accompli des actes qui, tôt ou tard, porteront leurs fruits. Ma part en ce monde a été belle et grande ; aussi, demain je quitterais la vie le cœur plein d’espoir et de sérénité. Non, ce n’est pas ma tête que je veux disputer au régent, c’est la vie de tous nos échevins, c’est la vie d’une foule de nos concitoyens menacée par l’impitoyable vengeance de la cour ! Ce que je veux défendre, ce sont nos libertés si chèrement conquises par nos pères ; ce que je veux assurer, c’est l’affranchissement de ces millions