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avait disparu. Malgré toutes ses recherches, jamais il ne put parvenir à la retrouver ; sa disparition fut pour lui le chagrin et le remords de sa vie. Tel est l’aveu qu’il m’a fait dans une lettre écrite peu de temps avant sa mort, me conjurant, si, par un hasard presque impossible à prévoir, je rencontrais Gervaise ou son enfant, de réparer les torts qu’involontairement il avait eus.

— Ainsi, grâce à une rencontre étrange, — reprit dame Marguerite, — vous êtes certain que ce malheureux Mazurec, dont vous nous racontiez l’histoire navrante, est votre frère ?

— Je n’en puis douter. Gervaise, ayant quitté Paris, est venue mendiant son pain en Beauvoisis peu de temps avant de mettre Mazurec au monde, et lui-même m’a dit que sa mère se nommait Gervaise, qu’elle avait les cheveux blonds, les yeux noirs et une cicatrice au-dessus du sourcil gauche… Ce portrait répondait complétement à celui que mon père m’a laissé de cette pauvre créature. La cicatrice provenait du coup qu’elle avait reçu de sa marâtre. Enfin, dernière preuve, la mère de Mazurec, en l’appelant ainsi, lui donnait l’un des noms de mon père…

— Ah ! — reprit tristement Denise, — du moins il a quitté la vie sans connaître l’horrible sort du fils de Gervaise !

À ce moment des pas s’étant fait entendre dans l’escalier, Marguerite prêta l’oreille, se leva vivement et se dirigea vers la porte en disant : — C’est Marcel ! ah ! béni soit Dieu ! — Et elle ajouta tout bas en s’adressant à Denise qui la suivait : — J’avais peine à cacher mon inquiétude ; l’absence prolongée de mon mari m’alarmait.

Le prévôt des marchands entra bientôt, et, après avoir répondu aux témoignages de tendresse de sa femme et de sa nièce, il leur dit en souriant : — Vous me croyez harassé de fatigue ? Il n’en est rien. Je viens de passer la journée et une partie de la nuit au travail avec le régent, et jamais je ne me suis senti plus allègre, plus dispos ! C’est un délassement si doux que le bonheur ; et heureux ! oh ! profondément heureux, j’étais en voyant ce jeune homme revenir