Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vage, rentrant dans Paris par les faubourgs à la tombée du jour, il trouva, sur le bord d’un chemin, évanouie et blessée, une jeune paysanne. Ému de pitié, il la releva et la porta dans une auberge voisine ; la jeune fille, revenue à elle, lui apprit qu’elle était vassale de l’évêché de Paris, et qu’ayant perdu sa mère au berceau, elle fuyait les mauvais traitements d’une marâtre impitoyable qui, le même jour, en la battant avait failli la tuer. Cette jeune fille s’appelait Gervaise. Mon père, touché de sa jeunesse, de son malheur et de sa beauté, la plaça comme apprentie chez une lavandière, voisine de notre maison ; il visita souvent sa protégée ; tous deux s’aimèrent, et un jour Gervaise apprit à mon père qu’elle portait dans son sein le fruit de leur commun égarement. Mon père comprit en honnête homme son devoir ; mais, forcé de quitter momentanément Paris pour un voyage, il promit par serment à Gervaise de l’épouser à son retour. Plusieurs semaines, un mois, deux mois, se passèrent… mon père ne revint pas…

— Il était pourtant incapable de manquer à une promesse sacrée, — reprit dame Marguerite. — Pendant longues années nous avons connu votre père, nous savons la droiture, la bonté de son cœur.

— Il n’a jamais démérité le jugement que vous portez de lui, dame Marguerite. Mais, presque arrivé au terme de son voyage, il fut dévalisé, blessé, laissé pour mort par une bande de routiers qui dès lors infestaient la Gaule.

— Et il ne put, sans doute, donner de ses nouvelles à Gervaise ?

— Non, dame Marguerite, car il languit longtemps dans un état désespéré. Aussi, la malheureuse jeune fille, effrayée du silence de mon père, se crut abandonnée. Les suites de sa faute commençaient à trahir sa faiblesse. Alors en proie à la honte et au désespoir, elle quitta Paris.

— L’infortunée !

— Mon père, à peine convalescent, se hâta d’écrire à Gervaise pour lui annoncer son prochain retour ; mais, lorsqu’il arriva, elle