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qui domina les frémissements courroucés de la foule. Puis il reprit, au milieu d’un profond silence : — Les seigneurs, si la mariée est laide ou s’ils sont las de violenter leurs vassales, se montrent bons princes : l’époux leur donne de l’argent, et il échappe à l’ignominie. Guillaume Caillet, c’est le nom du père de l’épousée, cet homme qui est là, que vous voyez, veut soustraire sa fille à la honte ; le bailli, en l’absence du seigneur, consentait au rachat du droit de prémices. Guillaume vend son unique bien : sa vache nourricière, et en remet le prix à Mazurec, qui, tout heureux, se rend au château pour redimer l’honneur de sa femme. Un chevalier passait d’aventure sur la route ; il dévalise le vassal. Celui-ci, arrivant éploré au manoir, reconnaît son voleur parmi les hôtes de son seigneur, récemment de retour ; le vassal lui demande grâce pour sa femme et justice contre son larron. « — Ah ! ta fiancée, dit-on, est jolie, et tu accuses de larcin un de mes nobles hôtes, — reprend le seigneur. — Je mettrai ta fiancée dans mon lit ; et tu seras puni de mort comme diffamateur d’un chevalier… » — Ce n’est pas tout… attendez ! — s’écria Marcel en comprimant du geste une nouvelle explosion de la foule, de plus en plus indignée. — Le vassal, désespéré, injurie son seigneur ; on jette le vassal en prison, c’est la coutume ; on traîne la fiancée au château… Elle résiste à son seigneur… il peut la garrotter et la violer ; le fait-il ? Non. Cela vous étonne ? Écoutez encore… Il s’agit de donner une éclatante leçon à Jacques Bonhomme ; de violer sa femme, non plus seulement au nom du droit du plus fort, mais de la violer au nom de la loi, au nom de la justice, au nom de ce qu’il y a de plus sacré en ce monde après Dieu ! Le seigneur se donne cette féroce jouissance. Il dépose à la sénéchaussée de Beauvoisis une plainte, entendez-vous bien ? une plainte contre la résistance de sa vassale ! Les juges s’assemblent ; un arrêt est rendu au nom du droit, de la justice et de la loi. Cet arrêt, le voici : « Le seigneur ayant droit aux prémices de l’épousée sa vassale, il usera de son droit sur elle ; l’époux, ayant