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les maires du palais ou les grands seigneurs féodaux qui détrônent les rois et changent les dynasties !

— Et qui donc accomplirait cette rude besogne ?

— Le peuple, sire !… Il faut que par expérience il apprenne, ce peuple encore enfant et crédule, qu’il peut d’un souffle balayer ses maîtres souverains, issus de la conquête et sacrés par l’Église. Aussi, lorsqu’un jour, dans des siècles peut-être, ce peuple atteindra l’âge de virilité, il comprendra la ruineuse et redoutable superfluité du pouvoir royal ; mais ces temps sont lointains ! De nos jours, le peuple, ignorant et coutumier, voudra, s’il détrône un maître, en couronner un autre, à condition qu’il soit prince. Vous êtes, sire, de ces prédestinés ; vous pouvez même quelque peu prétendre à régner sur la Gaule au nom d’une de vos aïeules dépossédée, je crois, de la couronne au bénéfice de son cousin Philippe de Valois, ancêtre du roi Jean. Donc, je vous l’ai dit, sire : il n’est point impossible que vous régniez un jour… éventualité déplorable ; mais réelle !

— Il te faut du courage pour me parler ainsi !

— Non, sire. Au lieu de vous dire la vérité, je vous flatterais bassement que, roi demain, votre premier soin serait toujours de vous défaire de moi.

— De toi, qui m’aurais si utilement servi ?

— À plus forte raison, car ma présence vous rappellerait sans cesse votre dette… Mais il n’importe ; que je meure aujourd’hui ou demain, que vous soyez roi ou non, que ma dernière tentative sur le régent échoue, que le parti de la cour triomphe, quoi qu’il arrive, si le présent échappe au parti populaire, l’avenir lui appartient. Oui, quoi qu’on fasse, l’ordonnance des réformes de 1356 et l’action souveraine de l’Assemblée nationale en ces temps-ci laisseront des traces impérissables. J’ai semé trop hâtivement, disent les uns… et ils ajoutent : « À semaille hâtive, moisson tardive ; » soit, mais j’ai semé… le grain est en terre, tôt ou tard l’avenir récoltera ! ma tâche est accomplie, je puis mourir. Maintenant, sire, je me résume ;