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délivrer de la prison où vous retenait le roi Jean, votre beau-père.

— De sorte que moi, Charles, roi de Navarre, je ne serais qu’un instrument entre les mains de Marcel le marchand drapier ?

— Sire, vous avez vos vues ; j’ai les miennes. Les voici. Entouré de détestables conseillers, le régent, hypocrite et tenace, se fait un jeu de ses serments. Il a signé, promulgué les ordonnances de réformes ; il m’a embrassé en pleurant, en m’appelant son bon père ; il a juré Dieu et tous ses saints qu’il voulait le bien du peuple, qu’il s’associait loyalement aux grandes mesures décrétées par l’Assemblée nationale. Le régent manque à toutes ses promesses : sa ruse, son inertie calculée, son mauvais vouloir, l’audace croissante de ses courtisans et de la noblesse, souveraine en ses domaines, entravent ou empêchent l’exécution des nouveaux édits. Le régent excite en secret la jalousie de grand nombre de villes communales, contre Paris, qui veut, dit-on, « gouverner seul la Gaule. » La noblesse, dans son inaction raisonnée, se renferme à l’abri de ses châteaux forts et laisse les Anglais étendre leurs ravages jusqu’aux portes de Paris. La fausse monnaie royale continue de ruiner le commerce, d’anéantir le crédit. Enfin, il y a deux jours, des favoris du régent font mutiler et supplicier un bourgeois de Paris sous leurs yeux, affichant ainsi l’insolent mépris de la cour pour les lois rendues par les États-généraux. Le plan de la cour est simple : lasser le pays à force de désastres ; rendre impossible le bien que l’on attendait si justement de l’Assemblée nationale, gouvernement populaire ayant le roi, non plus pour maître, mais pour agent ; enfin l’on espère pouvoir dire un jour au peuple, dont ces odieuses menées auront rendu la misère intolérable : « Peuple, voilà les fruits de ta rébellion. Au lieu de demeurer soumis, comme par le passé, à l’autorité souveraine de tes rois, tu as voulu régner par toi-même, en envoyant tes députés aux États-généraux ; tu portes aujourd’hui la peine de ta sotte audace. Puisse cette rude leçon te prouver une fois de plus que les princes sont nés pour commander en maître, les peuples pour obéir en