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nais ta pensée constante. Je ne voudrais pas te faire partager une espérance qu’à peine je conserve moi-même ; mais enfin, quoique la durée de l’absence de Mahiet justifie nos craintes, rien n’est pourtant désespéré… il reviendra peut-être…

— Non, non, — répondit Denise, donnant un libre cours à ses larmes ; — si Mahiet vivait encore, il n’aurait pas laissé son père dans la cruelle incertitude qui a hâté la fin de ses jours ; si Mahiet vivait encore, il aurait instruit de son sort mon oncle Marcel, qu’il aimait et vénérait à l’égal de son père ! Non, non, — ajouta Denise en sanglotant, — il est mort ; je ne le verrai plus !

— Mon enfant, qui sait si, entraîné par son imprudent courage, Mahiet n’est pas allé combattre à Poitiers, où il sera peut-être resté prisonnier des Anglais ? Or, de prison l’on revient ! aussi, je t’en conjure, ne t’afflige pas ainsi… je souffre tant de te voir pleurer !

La jeune fille, au lieu de répondre à Marguerite, se rapprocha d’elle, prit ses deux mains, qu’elle baisa, et lui dit :

— Chère et bonne tante, oubliant vos chagrins, vous tâchez de consoler les miens… Ah ! j’ai honte de ne pouvoir contenir ma douleur, lorsque vous vous montrez si ferme, si courageuse, devant maître Marcel et votre fils !

— En vérité, Denise, je ne te comprends pas, — dit Marguerite avec un léger embarras ; — ma vie est si heureuse, qu’il ne me faut aucun courage pour la supporter…

— Mon Dieu ! ne vous vois-je pas chaque jour accueillir maître Marcel et André, votre fils, le sourire aux lèvres et le front tranquille, tandis que votre cœur est bourrelé d’angoisses…

— Denise… tu es dans l’erreur.

— Oh ! croyez-moi, ce n’est pas une curiosité indiscrète qui m’a guidée lorsque j’ai tâché de pénétrer vos sentiments ; c’est le désir de ne rien dire qui puisse blesser votre pensée secrète quand je suis seule avec vous, ainsi que cela m’arrive si souvent maintenant.

— Excellente enfant ! — reprit Marguerite en embrassant Denise