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petits enfants ! J’ai vu, à la voix des prêtres catholiques, des populations innombrables entraînées du fond de la Gaule au fond de la Syrie presque entièrement anéanties par la fatigue et la misère, ou exterminées par les peuples que soulevaient les horribles excès de ces multitudes. J’ai vu les croisés survivants à tant de périls devenir de plus en plus féroces, se nourrir parfois de chair humaine, et ne laisser après eux que la dévastation, la rapine, l’incendie, le viol et le carnage. J’ai vu le lendemain de la prise de Jérusalem les disputes les plus violentes entre les chefs de la croisade, tous jaloux de se faire élire roi de Jérusalem, et le légat du pape, qui prétendait à la domination de la ville sainte comme Avocat du souverain pontife. J’ai vu, dans leur ignoble cupidité, les plus grands seigneurs tirer l’épée l’un contre l’autre pour le partage des immenses richesses renfermées dans la ville et dans la mosquée d’Omar, richesses si incroyables que Tancrède eut pour sa part cinq grands chariots remplis d’ornements d’or massif. Enfin, dérision amère, j’ai vu, dans cette ville où le pauvre artisan de Nazareth prêchait et pratiquait la pauvreté, l’humilité, le mépris des orgueilleux et des superbes, j’ai vu un comte de Sidon, un baron de Galilée et un marquis de Nazareth ! Oh ! Jésus le Nazaréen, pauvre artisan : un marquis de Nazareth ! ! !

Mais, hélas ! ainsi que je l’ai entendu dire à Yéromino, légat du pape, lorsque, caché dans le réduit secret des cachots souterrains du donjon de Plouernel, j’écoutais l’entretien du moine et de l’évêque de Nantes, le but secret de la première croisade était pour l’Église de déverser au loin le trop plein de populaire et de le vouer à l’extermination ; l’Église voulait encore amoindrir la puissance des seigneurs en s’enrichissant de leurs biens vendus pour subvenir aux frais de leur croisade ; l’Église enfin voulait habituer les peuples et les rois au massacre des hérétiques et à marcher contre eux au premier ordre du pape. L’Église a atteint son but, j’en atteste les faits dont j’ai été témoin et qui se sont reproduits ailleurs : la troupe dont je faisais partie en quittant la Gaule était de plus de soixante mille pauvres