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déborder sur la place… Oui, l’intérieur de la mosquée d’Omar n’offrait à ma vue qu’une immense nappe d’un sang rouge et fumant encore. Sa vapeur s’élevait comme un léger brouillard au-dessus d’une innombrable quantité de cadavres, ici complétement noyés, ailleurs à demi submergés dans ce lac rouge où flottaient çà et là des têtes, des membres séparés du tronc à coups de hache… Oui, j’ai vu, entendez-vous, fils de Joel, j’ai vu ceux-là qui devant moi descendirent dans la mosquée d’Omar, pour prendre part au pillage de ses immenses richesses, dont l’or étincelant se reflétait dans ce lac rouge… j’ai vu ces pillards marcher et clapoter dans le sang jusqu’au ventre… la chaude senteur du carnage, l’aspect de cette épouvantable boucherie me donna le vertige, mon cœur se souleva, mes forces défaillirent ; en vain je voulus me retenir à l’une des colonnes de porphyre du parvis de la mosquée, je tombai sans connaissance, les jambes baignées dans ce sang…

Combien de temps suis-je ainsi resté privé de sentiment ? je l’ignore ; lorsque je revins à moi la nuit était profonde ; bientôt mes yeux sont frappés de l’éclat d’un grand nombre de torches, j’entends des chants religieux répétés en chœur par des milliers de voix, et au milieu de deux rangs de soldats marchant lentement et portant des flambeaux, je vois une longue procession passer devant le temple ; elle se dirigeait vers la rue montueuse du Golgotha, aboutissant à l’église de la Résurrection, où se trouvait le sépulcre de Jésus-Christ. À la tête de la procession s’avançaient triomphalement, en chantant les louanges du Tout-Puissant, le légat du pape, Pierre-l’Ermite et le clergé ; puis (ceux-là se traînant humblement sur leurs genoux) les chefs de la croisade, et parmi eux vêtu de son sac, Wilhem IX, duc d’Aquitaine, se frappant la poitrine ; venaient ensuite les gens d’armes des seigneurs et une multitude de soldats, d’hommes, de femmes, d’enfants, de pèlerins, répétant tous en chœur le : Laudate Creator. Cette foule se traînant ainsi agenouillée était si nombreuse, qu’au moment où les prélats et les chefs de la croisade